Coucou ? Beuh !

24 novembre, 2007

J’aime beaucoup cette histoire. D’abord parce que c’est une histoire de chasse qui a toujours son petit succès facile dans les dîners plus ou moins mondains ; ensuite, parce que je suis fière d’avoir eu un peu de flair.

Je suis de garde aux urgences de la maternité.
Je m’occupe des urgences gynécologiques (comprendre : je m’occupe des mycoses et des problèmes non-urgents de toutes celles qui n’ont pas pu obtenir un rendez-vous avec leur gynéco avant un ou deux bons mois) et des grossesses débutantes.
Au delà de 7 mois, les patientes sont directement prises en charge par les sages-femmes, qui gèrent la plupart des situations et m’appellent si elles ont besoin de moi.

Ma collègue des urgences « normales » me passe un coup de fil pour me signaler qu’elle m’envoie une patiente de 16 ans, accompagnée par ses parents, qui consulte pour douleurs abdominales, mais qui, quand même, a un retard de règles, et, semble-t-il, un ventre assez rond pour être suspect.
Elle ne se dit pas enceinte, ses parents ne la disent pas enceinte.

Dans la salle d’attente, elle attire vite mon regard.
Je ne sais pas trop pourquoi, mais je me dis « Oooh, toi cocotte, je vais te prendre avant les autres« . Aux urgences gynéco, comme il s’agit en grande majorité de consultations sans rendez-vous, et pas d’urgences urgentes, prendre les gens par ordre d’urgence et non par ordre d’arrivée est assez rare pour être signalé.

Quand elle enlève son manteau et son pull, effectivement, elle est très enceinte.
Bon, je suppose qu’elle était aussi très enceinte avant d’enlever son manteau, mais c’était assez peu visible pour ne pas sauter aux yeux.
Je commence à la questionner.
C’est vrai, elle n’a pas eu ses règles depuis quelques mois. Quatre peut-être, ou six. Elle ne sait plus exactement. Non, ça ne lui a pas paru bizarre de voir son ventre s’arrondir.
Enfin, elle paraît quand même un peu gênée quand elle me répond. Je suppose qu’elle est coincée : si elle se sait enceinte, c’est une menteuse ; si elle ne se sait pas enceinte, c’est une idiote. Le choix est cornélien…

Je pose encore quelques questions, mais j’arrête rapidement l’interrogatoire pour l’examiner.
Fait encore assez rare pour être signalé : j’ai l’habitude des interrogatoires policiers, interminables, qui me font remonter jusqu’aux antécedents de l’arrière-grand-tante et aux amygdalectomies d’il y a 27 ans.

Je lui fais un toucher vaginal, et le temps suspend son vol.
Bon, ok, je suis en tout début de stage, et j’ai l’habitude des tout débuts de grossesse, mais quand même, si je sens au bout de mes doigts seulement ce qui ressemble fort à une tête de bébé, et du col nul part, ça s’appelle une dilatation complète, non ??

Je décroche le téléphone : SOS sages-femmes.
La cavalerie arrive, tv-ette à tout va, et confirme : dilatation complète, complètement en travail, on passe fissa en salle d’accouchement.

La rencontre avec les parents, ensuite, a été assez rigolote. Annoncer dans l’ordre :
– Mmm, oui, votre fille est enceinte.
– Elle est d’ailleurs passablement très très très enceinte
– Non, vous ne pouvez pas la voir maintenant, elle est en train d’accoucher, là.
– PS : on n’a aucune idée de l’âge de la grossesse, donc aucune idée de l’âge du bébé, donc aucun moyen de prévoir si il sera très en forme ou très prématuré en sortant de là.
– Allez, bisous !
est un exercice d’improvisation de haute-volée.

Pour la fin de l’histoire, je signalerai que le bébé était une petite fille, un peu prématurée mais pas tant que ça, très en forme, et qu’elle est repartie chez elle accompagnée d’une maman pas si mal, et de grands-parents un peu sous le choc mais néanmoins très heureux de l’accueillir.
Happy-end, donc. :)

MDR

15 novembre, 2007

Un jour, vraiment, je poserai une bombe dans une maison de retraite.
Ah, non, zut, mince, les petits vieux…
Un jour, vraiment, je poserai une bombe dans les locaux administratifs d’une maison de retraite.

A chaque fois ils nous font le coup. A CHAQUE FOIS.
Les trois dernières fois :

1) )
Elle a 84 ans. Sur la feuille des pompiers, c’est marqué qu’elle vient pour « Malaise et occlusion« .
Ahahah, ça commence bien ^^
« Malaise et occlusion« … Pourquoi pas « Douleur et cataracte » ?
(Un jour, je vous raconterai les « motifs de détresse » des pompiers. Motif de la détresse : « Un homme de 52 ans fait un malaise ». « Une femme a mal au ventre ». « Un homme est trouvé sur la voie publique ».
Ma grande préférée, indétrônée à ce jour : « Motif de la détresse : une femme de 42 ans est assise sur son canapé« . Ca ne s’invente pas…)

Bref. Celle-là vient pour « malaise et occlusion », on a dû leur dire ça à la maison de retraite. (Médicalisée, hein, la maison de retraite. Avec des infirmières et tout.)
Dans l’enveloppe qui l’accompagne, j’ai une feuille avec la photocopie de sa carte vitale. Comme ça, je sais qu’elle s’appelle Marguerite.
Dans l’enveloppe, encore, …
Ah, non, rien.
– Les coordonnées de la maison de retraite ? Il faudra utiliser les pages jaunes.
– Les antécédents ? Pour quoi faire ?
– Le traitement en cours ? C’est important ??
– L’histoire de la maladie ? Pensez-vous ! Elle viendrait pour fracture du col du fémur, je pourrais me dire que l’histoire de la maladie, c’est « A tombé« . Non. Elle vient pour « malaise ». LE problème entre tous dont le diagnostic repose à 99% sur l’interrogatoire et l’histoire de la maladie. Et comme Marguerite m’a été livrée très, très démente, je ne peux pas tellement compter sur elle pour me raconter ce qui s’est passé.

Folle de rage, j’appelle. Je tombe évidemment sur le gentil aide-soignant de nuit, qui n’a rien vu, mais qui a entendu dire qu’elle avait fait un malaise.
– Mais quel malaise ? Elle a dit j’ai la tête qui tourne ? Elle est tombée ? Elle s’est cogné la tête ? Elle a perdu connaissance ?
– Heu… Bin vous savez, moi je suis de l’équipe de nuit… Je sais qu’elle a eu un malaise pendant le repas et qu’elle a glissé de sa chaise…
– Bon. Bon bon bon. Et son état habituel, c’est quoi ?
– ….
– Je veux dire, elle est désorientée depuis la chute ?
– …..
– Je veux dire : elle est toujours folle comme ça ??
– Ah oui, ça oui, elle est un peu perdue tout le temps, vous savez.
– Bon, et cette histoire d’occlusion ?
– ….. ?
– C’est écrit « occlusion » sur la feuille des pompiers… Elle a dit qu’elle avait mal au ventre ? Ses dernières selles remontent à quand ?
– Heu…..
– Vous pouvez bien me trouver la date de ses dernières selles dans son dossier ? C’est forcément écrit quelque part…
– (De bonne volonté) : Je vais voir et je vous rappelle.

Non, ce n’était écrit nulle part. Alors dans le doute, hein, on fait un ASP (oui, pour ceux qui suivent, l’occlusion fait partie des cas où l’ASP sert à quelque chose…), un scanner cérébral, un bilan bio, on a gardé Marguerite en observation (au service portes, toujours pour ceux qui suivent, bravo) 48h et on l’a renvoyée chez elle.

2))
Il a 76 ans. Je ne sais plus pourquoi il est là.
Dans l’enveloppe qui l’accompagne, j’ai la photocopie de sa carte vitale (comme ça je sais qu’il s’appelle Raymond), et, ô, miracle, une autre feuille !!
Qui ne me dit rien de ses antécédents, rien de son traitement, rien de l’histoire de la maladie.
Par contre, je sais qu’on l’a changé à 12 et 16h, qu’il a eu un repas mixé à 11h30, qu’on lui a lavé les cheveux avant-hier et que la pédicure est prévue pour mercredi prochain.
(Je vous jure….)

3)) Elle a 78 ans. Elle vient, toujours d’après la feuille des pompiers, pour « Hypertension sévère et déséquilibre glycémique« .
Ce jour-là, miracle, encore, j’ai une photocopie d’un compte-rendu d’hospitalisation de 1995, et la liste de ses médicaments. Non datée, la liste. Ca s’trouve, de 95 aussi.
Je ne sais pas à combien était la tension chez eux, mais chez nous, à l’entrée, elle est à 14/8 ; on a vu plus sévère.
Bon. Voyons voir cette histoire de diabète. Je ne sais pas à combien était le dextro chez eux, mais chez nous, oui, il est élevé.

J’épluche…
– Médicament qui-sert-à-rien pour les oedèmes des jambes
– Médicament qui-sert-à-rien-et-qui-est-dangereux pour les troubles de la mémoire…
– Laxatif
– 2ème laxatif
– 3ème laxatif (Bon, je suppose qu’elle est constipée…)
– Traitement contre l’ostéoporose
– Antihypertenseur (Ah ! Elle est hypertendue habituellement ! On progresse…)
– Antalgique
– Médicament-qui-sert-à-rien-pour-les-vertiges
– Médicament-aux-plantes-qui-sert-à-rien-et-qui-est-dangereux pour les « troubles dépressifs mineurs »
– Crême-pour-les-escarres

Mmm. Et un médicament pour le diabète ? Non ? Vraiment ?
Parce qu’elle vient un peu pour déséquilibre du diabète, hein, à la base, je le rappelle…
Elle est juste assez lucide pour me soutenir qu’elle prend du Diamicron et du Stagid depuis des années, juste assez démente pour ne plus savoir si on lui a donné ce matin.

En appelant la maison de retraite, je tombe, sur, devinez ? un gentil aide-soignant qui ne sait pas du tout si la liste de médicaments que j’ai sous les yeux correspond à son traitement du jour ou pas, et si elle a eu, ou pas, des médicaments pour son diabète ce matin, ni quelle dose elle a d’habitude.
C’est merveilleux.

En fait, j’ai mieux que l’histoire de la bombe.
Un jour, je vous jure, je vous jure que je le ferai, je prendrai une épingle à nourrice, un bout de papier et un crayon, et je renverrai à la maison de retraite une petite dame épinglée :
 » A une maladie. Lui donner des médicaments. « 

La crise

15 novembre, 2007

J’ai un respect infini pour les infirmières.
Vraiment. Je ne compte plus les fois où une infirmière m’a sauvé la mise en rectifiant une de mes prescriptions (« Je suppose que tu voulais pas vraiment mettre 10 grammes de Perfalgan ?« ) ou en corrigeant un de mes oublis (« J’ai piqué les gaz du sang, hein…« )

Mais quand même, des fois, pardon, celles qui appellent la nuit dans les étages…
(Quand on est de garde, on s’occupe des urgences, et on a un bip. Qui bippe quand on a besoin de nous quelque part, le plus souvent « dans les étages », c’est à dire dans les services d’hospitalisation. Dans ces cas-là, on rappelle pour savoir qui nous demande, et on essaie d’évaluer si la situation mérite qu’on quitte les urgences en courant (au ralenti comme à la télé), ou si ça peut attendre un peu…)

– Oui, excusez-moi de vous déranger, je vous appelle parce qu’on a le monsieur du 16 qui a de la fièvre…
– Mmm, oui, quel âge ?
– …………..
– Jeune, vieux, très très vieux ?
– Heuuu, un peu vieux, quoi, normal….
– Ok, et il est hospitalisé pour quoi ? (La question qu’il ne faut JAMAIS poser, et que, naïvement, on pose toujours…)
– ………
– … ?
– …… Heu, vous savez, moi je suis là que la nuit……
– Ok, il a quoi comme constantes ?
– … Heuuuu, ma collègue est en train de les prendre….
– Ok, et il a quoi comme traitement ?
– ……..
– Bon, bah je vais monter….

Une fois là haut :
– Vous avez son dossier médical ?
– ………
– S’il vous plaît ?
– …. Vous en avez besoin ?
– Heuuu, bin oui.
– Bon, bin je vais le chercher, je reviens dans 15 minutes….

La dernière fois :

– Allo, excusez-moi de vous déranger, mais est-ce-que vous pouvez venir ? Le monsieur de la 32 fait une crise….
– Mmm… Une crise de quoi ?
– …. ????
– Une crise de goutte ? Une crise économique ? Une crise de nerfs ?
– Oui ! C’est ça ! Une crise de nerfs !
– ……
– ……
– …… Je monte…..

Le rhume à toto

9 novembre, 2007

Le stage qui a failli me faire arrêter la médecine, et retourner à mes anciennes ambitions de dresseuse d’ours.
Extraits de mails envoyés à l’époque à mes proches, je n’ai pas le courage de raconter à nouveau…
C’est long et passablement déprimant, faites-le vous en plusieurs fois… ;)

La rhumato, c’est super facile :)

– Quand une petite dame de 82ans dit « Ce matin, j’ai eu un peu mal à la poitrine« , on arrête là l’interrogatoire (qui n’a que trop duré), et on demande une tropo, un ECG et un avis Cardio.

– Quand quelqu’un a mal à x, y, n et z, on demande des radios et/ou un scanner de x, y, n et z. Sans oublier le profil, le 3/4 et les autres incidences qui existent. Ce qui permet d’affirmer sans hésitation que l’arthrose de Mme Gémaltoutpartout n’a pas tellement-tellement évolué depuis son dernier bilan en ville il y a 15 jours.

– Quand une IRM d’un patient s’annule, il faut paniquer très très vite. Parce qu’on a 4 créneaux IRM par semaine et qu’il FAUT les utiliser. Alors, on cherche parmi nos patients hospitalisés s’il n’y en a pas un qui traîne et qui n’aurait pas encore eu d’IRM. Tiens, Monsieur Machin a mal à la main, ça tombe rudement bien.

– Le self est très très bon. On choisit ce qu’on veut et même qu’il y a des frites tous les jours. Sauf le mardi. Parce que le mardi, on déjeune en salle de conférence avec le laboratoire du mardi, et ça, c’est chouette, parce que ça fait économiser un ticket repas. Un jour, je voulais des frites, et j’ai demandé à ne pas assister au topo du labo. Interdiction formelle de ma chef de service.

– L’autre jour, j’ai reçu Mme R. pour une lombocruralgie déficitaire.
65 ans, vive, dynamique, souriante, en pleine forme, un bonheur de patiente.
Au scanner (oui, parce que bon, quand même, des fois, on en demande des qui servent à quelque chose) des métas osseuses absolument partout. A la visite du lendemain, (la grande visite du jeudi avec la grande chef de service), j’explique à la grande chef de service que Mme R. a eu son scann la veille au soir et qu’elle n’est encore au courant de rien.
Et je m’entends expliquer qu’ il ne faut rien lui dire avant les résultats anapath écrits d’une biopsie osseuse qui sera faite un jour prochain, soit quelque chose comme dans 2 semaines au mieux. Mais qu’en attendant, il faut lui faire un scanner thoracique et une mammographie. Et ah oui, prendre un rendez-vous avec l’oncologue du service.
J’essaie d’expliquer mon enthousiasme modéré à l’idée de dire à cette femme qu’on va lui faire une mammo pour une douleur de la jambe, elle me répond qu’il n’y a qu’à dire « On doit faire plus d’examens » et que voilà. Elle m’interdit au passage de dire quoi que ce soit moi-même à la patiente.

– Le chef de clinique se dévoue : « J’irai lui annoncer la mauvaise nouvelle cet après-midi ».
L’après-midi même, il sort de la chambre de Mme R et me raconte : « Bon, ça y est, je lui ai dit. Je lui ai dit qu’elle avait une inflammation sur le rachis et qu’il fallait faire d’autres examens. Elle n’a pas tiqué »
Elle n’a pas tiqué ??? Vraiment ?? Ah, tiens donc…
J’ai dû appeler le médecin qui nous l’avait adressée pour qu’il passe lui parler.
Le matin de son IRM, elle s’est fracturé le col sur une méta, et elle a été transférée en chirurgie.Tout le monde n’a parlé que de cette triste histoire pendant une semaine.(Par triste histoire, j’entends le fait qu’elle ait été transférée et que par conséquent tout le bénéfice de son séjour chez nous soit gagné par l’orthopédie.)

– Hier, la grande chef de service m’a fait infiltrer une colique hépatique.
Typique, magnifique, tous les signes des livres, et l’écho qui confirme les calculs.
De signes de sciatique, aucun. Mais vraiment aucun.
Je ne suis pas plus maligne que tout le monde, c’est juste que cliniquement, le doute n’était pas possible. J’ai piqué, j’ai sorti l’aiguille, j’ai vidé l’aiguille dans la poubelle, et j’ai écrit dans le dossier « Ce jour, épidurale L5-S1 ».

– L’autre a remis ça avec son histoire d’inflammation… A un homme qu’on traîne d’examens en examens depuis plus de trois semaines, qui nous disait clairement qu’il n’en pouvait plus d’attendre ce fichu diagnostic, qui nous disait qu’il « voulait savoir la vérité même si c’était un cancer« , dont la femme est morte d’un cancer du poumon il y a trois ans, qui a eu une fibro avec biopsie dont il savait qu’on attendait le résultat anapath et qui va être transféré en cancéro…
Bin il a réussi à se pointer dans sa chambre et a lui dire qu’on avait les résultats anapath et que c’était une inflammation du poumon.

– L’infirmière vient nous voir parce que la dame du 16 a mal au ventre. Interrogatoire ? Examen ? Que nenni, qu’existe-t-il qui ne se résolve pas avec un bon ASP ??
(Un ASP, c’est un « Abdomen Sans Préparation » : une radio du ventre. Qui, contrairement à ce que croient certains patients, ne permet pas du tout de « voir ce qui se passe », mais qui peut aider à confirmer ou infirmer, mettons, 2 ou 3 diagnostics, parmi tous ceux qui peuvent donner « mal au ventre »)
L’ASP, oh, surprise, est normal.
Le lendemain, quand l’infirmière est venu nous voir pour nous dire que la dame du 16 avait TOUJOURS mal au ventre (oui, c’est étonnant, les ASP ne soulagent pas la douleur…) savez-vous ce qu’il a fait….??
Oui, vous ne rêvez pas, un autre ASP.

– La chef de service et la chef de clinique sont folles toutes les deux, et se haïssent cordialement.
Enfin, je dis « cordialement » pour le style. C’est à peu près tout ce qu’on peut imaginer d’anti-cordial.
Pas un jour ne se passe sans hurlements ou rendez-vous chez le directeur de l’hôpital.
Elles ne font plus le tour ensemble.
Elles prescrivent systématiquement l’inverse de ce que l’autre a prescrit, avant même de voir le patient.
Au bout de l’ordonnancier, moi.
Elles me préviennent chacune que, si je prescris l’examen que l’autre a demandé, et si ça tourne mal, je serai seule au monde face aux juges et qu’il n’y aura personne pour me défendre.

Bien vu…

8 novembre, 2007

Il vient aux urgences parce que, rond comme une queue de pelle, il est tombé contre le coin de sa table basse et qu’il s’est énucléé l’oeil gauche dans l’histoire.
(NDRL : pour votre culture personnelle, et la mienne, j’apprends en vérifiant l’orthographe d’énucléer que ça signifie seulement « extirper en incisant ; enlever un organe, une tumeur ». Enucléer l’oeil n’est donc pas un pléonasme !)

Bref. Il ronfle comme un sonneur sur son brancard, l’oeil délicatement posé sur la joue. Il est trop saoul pour avoir mal.

Bien sûr, il a fallu que je voie ça.
Bien sûr, il a fallu que j’entre dans la chambre en disant « Bonjour monsieur, vous permettez que je jette un oeil ? »

Hé merde…. Ctrl-Z, please ??

Pour renvoyer les gens chez eux depuis l’hôpital, on a plein de chouettes moyens :

– l’ambulance, pour ceux qui doivent être couchés, ou dont l’état nécessite un rien de surveillance et de matériel
– le taxi pour les gens qui vont bien
– le VSL, « véhicule sanitaire léger », une espèce d’intermédiaire entre les deux

Le tout étant plus ou moins remboursé et plus ou moins tout de suite, selon des conditions obscures que je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre, mais qui font quand même que bon, dans le principe, on peut renvoyer les gens chez eux de manière à peu près adaptée à leur état.

Ca a l’air merveilleux comme ça à première vue, mais c’est plein de bonnes choses qu’on peut pas comprendre, nous, humains.

En 7 ans d’hôpital, je n’ai jamais vu un VSL. Je ne sais pas à quoi ça ressemble, les infirmières m’ont toujours ri au nez quand j’ai essayé d’en faire demander un. « Ahahah, mais y en a pas, des VSL« .
Ah bon, comme ça, pouf ? Y en a pas ? Ah, bah non, y en a pas.
Partout où je vais, y en a pas.
Le VSL, je crois que c’est une petite ligne sur le formulaire de transport parce que ça faisait plus joli, ou une vaste blague des gens qui essaient de nous faire croire qu’on limite les dépenses de santé, ou un complot mondial quelconque. Rien avec des roues, en tout cas.

Les taxis, c’est une autre histoire. Non, en fait, c’est plein d’autres histoires.
– Ah, mais les taxis viennent pas après 2h du matin.
– Ah, mais les taxis viennent pas ici, parce que c’est trop excentré.
– Ah, mais les taxis viennent pas ici, parce que c’est trop dangereux.
– Ah, mais les taxis viennent pas, parce qu’ils sont jamais payés par les patients et ils veulent plus venir.
– Ah, mais les taxis viennent pas parce qu’ils viennent pas.

Donc, il reste l’ambulance et sa demi-fortune au kilomètre.
L’ambulance pour tous.

Et j’aimerais bien savoir ce que je fais de :
– La petite dame qui va pas si mal, mais qui se déplace à peine, qui ne sort plus de chez elle, et qui ne pourra juste pas monter toute seule ses trois étages
– Le type qui va très bien, mais qui a deux bras et une jambe dans le platre, une valise et pas d’ascenseur
– Les huit cent milles types qui sont venus aux urgences en pleine nuit avec les pompiers et qui vont parfaitement bien, sauf qu’il est quatre heures du mat et qu’ils habitent loin

Parfois, on essaie de lutter un peu, et on refuse de faire venir l’ambulance.
Les gens s’offusquent, ils demandent comment ils vont faire, ils disent qu’ils « y ont droit ». Quand on tient la forme et que les gens sont des chieurs, on leur explique qu’ils n’avaient qu’à pas appeler les pompiers pour une gastro et que c’est leur problème.
Quand on est fatigué, quand les gens sont gentils, quand ils ne connaissent VRAIMENT personne pour les ramener, quand ça fait trois fois qu’on s’engueule avec des patients pour la même raison, quand il pleut, quand ils sont vieux, quand ils sont saouls, quand on n’a pas dormi depuis trop longtemps, quand c’est Noël, quand c’est comme ça, on appelle l’ambulance.

Une fois, j’ai vu à 4h du mat, aux urgences gynéco, un tout gentil couple de 55-60 ans. La dame avait connu la première mycose de sa vie, ça démangeait terriblement, ils avaient une culture médicale frôlant le zéro absolu, ils ont paniqué et appelé les pompiers.
C’était un hôpital de périphérie, ils habitaient dans le village d’à côté celui d’à côté, et ça faisait 8 bons kilomètres.
Ce jour là, allez savoir pourquoi, je suis restée campée à cheval sur mes beaux principes. Ils ont dit qu’ils comprenaient, ils ont hôché la tête et ils sont repartis main dans la main en disant qu’ils allaient marcher.
Je m’en veux encore de ne pas avoir appelé cette foutue ambulance.

Tu n'apprendras jamais

10 octobre, 2007

J’ai bientôt fini mes études de médecine, et je n’ai jamais fait de ponction pleurale.

Une seule ponction lombaire, jamais de réduction d’épaule luxée, jamais de ponction d’ascite, jamais de ponction de genou.

C’est que je n’ai jamais eu de patient à moi, vraiment à moi, qui en ait eu besoin.
Un patient que j’aurais suivi, et à qui j’aurais rendu suffisamment service pour me permettre de lui imposer en contrepartie mon inexpérience.

A chaque fois qu’on m’a proposé ces gestes, chez des patients que j’avais vus cinq minutes, ou pas du tout, je me suis défilée.
Je ne voyais pas de justification à leur faire mal, à faire durer 15 laborieuses minutes là où les mains de mon chef auraient bouclé l’affaire en 5.
Je me disais toujours : « la prochaine fois ».

« Tu n’apprendras jamais », on me disait.

Force est de constater que je n’ai jamais appris.

Bien fait.

10 octobre, 2007


Prothèse de hanche.

Pour une fois, la nécessité de ma présence au bloc est indéniable : je tiens la jambe.
En l’air. Pendant des heures. Dans une position stricte, parce que si je bouge, je peux changer l’orientation de la prothèse et la réussite de l’opération.

Des fois, je suis désolée, mais je crois bien que je bouge un peu. C’est juste SUPER lourd après 15 minutes, une jambe.

Bref.

Le chef de clinique galère un peu et s’agace.

« Putaaaaaaaaaaain, mais quelle grosse vache ! C’est pas possible, y a que d’la graisse, aucun muscle, c’est dégueulasse« .

Sauf que la patiente est sous rachi-anesthésie, pas sous anesthésie générale.
Ca devait finir par arriver.

Elle s’est cassé le col du fémur.

Elle est tombée, toute seule chez elle, et elle est restée quelques heures par terre, toute seule, trop loin de son téléphone, avec seulement la peur au ventre et l’espoir que quelqu’un arrive vite. Ce n’est pas du sentimentalisme, c’est comme ça que ça se passe, tous les jours.

Au bloc opératoire, on l’installe sur une table, couchée sur le côté, à cheval sur une espèce de grosse bite en plastique blanc qui va permettre de mettre sa jambe dans la bonne position pour l’opération.
Elle est complètement nue, les jambes écartées, dans l’indifférence générale des dix ou douze personnes qui vont et viennent dans la pièce, et dont les yeux médicaux sont tellement habitués à la nudité qu’ils ne la voient plus.
Elle, elle n’est pas habituée.

Elle est à un drap de la dignité, elle est à moitié sur sa bite blanche et à moitié sur son Alzheimer, elle hésite, et la prochaine demi-heure va lui sembler très longue.

J’ai été admise au bloc, exceptionnellement, en tant qu’étudiante, en tant qu’observatrice, pour voir l’opération. Je suis en deuxième année, je ne sers à rien, j’encombre un peu, je suis posée dans un coin de la pièce. A quelques mètres de l’armoire pleine de draps.

Il suffirait de quelques gestes et de quelques mètres pour que j’aille couvrir la dame.
Je sais que ce serait, au mieux, un geste dérisoire sous l’oeil goguenard de la foule, au pire, un accident diplomatique qu’on rapporterait au chef de service. Je reste clouée sur place, en me répétant : « N’oublie pas. N’oublie pas. N’oublie pas ».

Des années plus tard, parfois, je me surprends à avoir un peu oublié.
Je crois que j’ai fait des choses du même goût, parfois, rarement, la fatigue et les années et l’habitude aidant.

J’essaie de me souvenir.

Tu la sens, ma grosse b…

18 septembre, 2007

Externat, garde aux urgences.

Mon boulot consiste grosso modo à aller voir les gens en première ligne, leur demander ce qu’ils fichent là et depuis combien de temps ils ont ça ( –> « Oh, un moment« , donc…) puis à trotter derrière de vrais médecins en blouse blanche qui viennent poser des diagnostics et demander des examens.

Une femme d’une soixantaine d’années. Douleurs abdos.

Antécédent d’un cancer quelconque il y a quelques années, du genre méchant et jamais tout à fait guéri.
Elle s’est mise à avoir mal depuis plusieurs jours, puis de plus en plus. Elle a essayé d’éviter l’hôpital tant qu’elle a pu mais ça commence à faire vraiment trop mal. J’ai le souvenir qu’elle se tord sur son lit, et que sa peau tire vaguement sur le gris-jaune, mais c’est peut-être moi qui enjolive après toutes ces années.

Comme elle va vraiment moyen, un vrai médecin m’accompagne d’emblée pour aller la voir, histoire de ne pas perdre trop de temps.
Et pas n’importe quel médecin s’il vous plaît, le chirurgien. Histoire de perdre encore moins de temps. Prononcer chii-ruur-gieen. L’interne en chirurgie, en fait, mais c’est tout comme.

Bonjour Madame, je suis le chii-ruuur-gien.
Histoire de la maladie, où ça fait mal, depuis quand, depuis quand elle n’est plus allée aux toilettes, depuis quand elle a maigri, hochements de tête.
Il pose ses deux mains l’une sur l’autre sur son ventre, il fait onduler ses doigts, il y va méthodiquement, cadran par cadran, les yeux levés vers le plafond comme pour y chercher l’inspiration.

Soudain, son visage s’illumine. Il hésite, il vérifie, il finit par rester toujours au même endroit et on voit bien qu’il se passe quelque chose, là, sous ses mains, et ça a l’air de lui faire vachement plaisir. Il sourit, même, maintenant.

Triomphal, il me dit « Tenez, sentez, là, palpez… »
Je pose mes mains, moi aussi. Parce qu’il me l’a demandé, bêtement. Parce que je ne réfléchis pas. Parce que c’est tellement surréaliste que je flotte, far far away, quelque part entre l’hébétude et l’incrédulité. Parce que je ne veux pas croire qu’il va se passer ce que je crois qu’il va se passer, et qui, évidemment, se passe :

« Alors ? (sourire) Qu’est ce que vous sentez ? »

Effroyable, effroyable connard… Tu veux dire à part l’envie de disparaître ? Tu veux dire, autre chose que le désir irrépressible de te hurler ta méchanceté crasse au visage ? Tu me demandes, raclure de moisissure de chiottes à la turque, si je sens autre chose que mes poings qui fourmillent et que j’essaie d’empêcher d’atteindre ton joli sourire de dents blanches ?
Je la sens, ta tumeur, enfoiré d’enfant de putain, sous la peau du ventre auquel est rattaché, un peu plus haut, si si, regarde bien, un torse, et oh, un cou et une tête. D’une dame. Avec des oreilles.

J’ai dit « Rien ».
Parce que c’est à peu près la seule chose que j’ai pensé à dire sur le moment.
Et en sortant de la chambre, étouffée à moitié par mon respect idiot de la hiérarchie, à moitié par ma fierté et à moitié par ma lâcheté – ce qui fait beaucoup trop de moitiés – j’ai dit :
« Non mais j’avais senti, hein, mais bon voilà… »