Empathique ta mère

24 novembre, 2007

Paraît qu’on apprend (aussi) en se plantant…
Bon… Bon, bon, bon.
Tant mieux.

Je me présente : Rrr, interne en médecine gérérale, empathique.
Si si. A fond. Plus empathique que moi, tu meurs.
J’ai un truc, pour être empathique : je fréquente assidûment un forum médical. Je lis des centaines de messages de patients par jour. Alors tu penses bien, moi, les angoisses et les questions inavouées, ça me connaît !

Et voilà qu’au détour d’un signal quelconque, je ne sais plus lequel au juste, je me rends compte que je n’empathise pas, je monologue.
Toute fière que je suis de SAVOIR ce qui angoisse mon patient, et de deviner à coup sûr les questions qu’il se pose, j’y vais de mon petit couplet d’explications, j’enchaîne mes perles, l’une après l’autre, sur le fil bien huilé et unique de la conversation : le mien.
Et il faut bien dire qu’elles sont jolies, mes perles. J’explique bien, je ne vous dis que ça.
Parce que vous savez, c’est très important, les explications. Ohlala, soigner sans expliquer, c’est pas bien. Alors j’ex-pli-que. Tout ce qui est explicable, comptez sur moi pour l’expliquer.

Il ne faut pas culpabiliser en vous disant que blablabla, parce que voyez-vous
Ca lui était peut-être même pas venu à l’esprit, de culpabiliser. Mais maintenant que j’en parle…

[Situation difficile. Souffrance psychologique, drame familial, message de détresse…Vite, vite, montrer sa grosse empathie !]
Oooh oui, je comprends, c’est difficile parce que ceci, et puis on se dit cela, mais vous savez il faut vous dire que patati, et puis il y a des gens qui pensent que cela, mais dans ce cas on croit souvent que
– MAIS TA GUEULE !! J’essaie de te dire quelque chose, là, j’essaie de te dire ma souffrance ; pas la tienne, pas celle des lecteurs de ton forum, pas celle de ton dernier patient qui a eu la même chose, pas celle que tu m’imagines avec tellement de compassion dégoulinante, la mienne.

Votre maladie, elle s’appelle comme ça et elle fonctionne comme ça. C’est tel truc qui dysfonctionne, ça entraîne telle et telle conséquence, et on peut la traiter comme ceci
Mais il en avait peut-être déjà entendu parler ? Sa représentation à lui de cette maladie, c’est quoi ? Il en a compris quoi ? Qu’est ce qui lui fait peur ? Qu’est ce qu’il voudrait savoir, là, maintenant ?

J’ai longtemps cru que j’expliquais tellement bien que les patients n’avaient jamais aucune question à me poser. Je ne m’étais jamais dit que, quand je disais « Vous avez des questions ? », le ton de ma voix voulait dire « Vous n’avez bien sûr pas de questions, après toutes ces belles explications ? ».
Alors forcément, non, ils n’avaient pas de questions. Faudrait pas casser une telle fierté et un tel enthousiasme…
Et si par hasard je leur laissais assez de champ libre pour ne pas être complètement paralysés sous le flot continu de mes explications et pour se permettre un froncement de sourcils, je me disais que je n’avais pas assez bien expliqué et je repartais pour un tour de disque.
Que quelqu’un trouve mon bouton pause…

Empathie : faculté de sympathiser avec autrui, de ressentir les mêmes impressions que lui.
Pour demain, vous me copierez cent fois : « La faculté de ressentir les mêmes impressions que quelqu’un n’est pas la même chose que la faculté de le séduire pour l’amener à ressentir les mêmes choses que vous. »

_____________

J’ai écrit ça il y a déjà quelques années.
En me relisant, je suis très fière d’avoir l’impression d’écrire quelque chose de très vrai, et remplie de honte : après toutes ces belles paroles, je n’ai pas progressé.
Oh, peut-être un peu, peut-être à peine.

De temps en temps, je me force à me taire, je me force à poser une question et à écouter la damnée réponse. JUSQU’AU BOUT.
Mais c’est encore beaucoup trop rare.

L’autre jour, j’ai expliqué à une fille qu’elle avait peut-être (PEUT-ETRE !!!) la mononucléose. Et vas-y que je t’explique, que c’est pas grave comme maladie, qu’on va faire tel test, et que si c’est ça, peut-être elle sera pas fatiguée longtemps mais que peut-être elle sera fatiguée longtemps, et que si elle est fatiguée longtemps, on y fera des arrêts de travail, mais que des fois on n’est pas fatigué longtemps, hein, ça dépend des gens, et que peut-être d’ailleurs si ça strouve c’est autre chose, hein, qu’il y a d’autres virus qui peuvent donner ces symptômes, et que le traitement et que les virus et que les fleurs dans les champs…

Quand j’ai repris ma respiration, elle pleurait. Avec de vraies grosses larmes sur ses joues.
J’ai dû lui faire drôlement peur à répéter que c’était pas grave comme un disque rayé.
J’ai dû drôlement m’écouter parler pour ne pas être fichue de m’arrêter AVANT que les larmes ne coulent.
Je me suis empêtrée, mais pourquoi que vous pleurez ? C’est pas graaaaaaaave, attendez, je ré-explique….

Et à l’arrivée, elle avait même pas la mononucléose.
Un oscar pour moi.

Le mot d’ordre reste le même : ne pas oublier.

16 Réponses à “Empathique ta mère”

  1. ada Dit:

    Heureusement que les médecins ont aussi des blogs parce que parfois je me demande où vit le mien, si c’est même un être humain. Merci de prendre ce temps de parler de tes doutes. Ca rassure.

  2. Rrr Dit:

    A force, on a tendance à oublier que notre routine n’est pas celle des patients. Et que ce qui nous paraît limpide / normal / banal peut effrayer. On oublie que nos mondes sont différents. Il faut parfois des patients pour nous le rappeler ;)

  3. maisbiensûr Dit:

    je découvre ton blog et l’ironie sonne trop juste pour être feinte. tout ceci me rassure…
    je me marre bien entre mes consults.
    Moi aussi j’use « trop » de la bien belle empathie.
    utilisons les silences (mais que c’est flippant les silences)
    un jeune généralsiste

  4. dobo Dit:

    finement analysé; je fais pareil…que c’est difficile de se taire pour écouter réellement le patient sans embrayer tout de suit sur un des disques explication éducation…Je vais essayer de chronométrer mon temps de parole et celui de mes patients…
    J’adore ton blog

  5. cardiologue de brousse Dit:

    Tiens ! je n’avais pas encore exploré tout le blog; effectivement trés finement analysé ( comme toujours – euh non ! comme souvent, faut pas exagérer – )
    à force de ne pas tourner 7 fois sa langue autour du tapis, on se la prends dans la bouche ( ou quelque chose d’approchant )
    trés similaire est l’interrogatoire médical également, mais pour d’autres buts puisque là c’est le départ de la démarche diagnostique; et comme dans une enquête policière, si ça s’emmanche mal au départ ça va foirer à l’arrivée;
    parfois les patients déballent tout en vrac à peine assi en face de vous, sans queue ni tête apparent et on doit faire le tri en rangeant tout bien sur l’étagère; l’expérience montre que si l’on laisse parler les patient(e)s particuliérement bavard(e)s ( …et puis vous savez Docteur, j’ai eu comme mon cousin Fulbert, si vous savez celui, le grand chauve qui est marié à la boulangère d’en bas de chez moi, celle qu’ eu la totale y’a trois ans, même que son chirurgien est le même qu’avait opéré mon défunt mari, paix à son âme car c’était un bon mari, je m’rapelle quand on s’est marié le cousin Fulbert, précisemment, avait renversé la piéce montée, même que ….) sans les interrompre, en se contentant de hocher la tête en grommellant un  »mmmoui… » de temps en temps, le monologue ne durait jamais plus de 5 minutes ( mais c’est long et ça fait pas mal de mmmoui…)
    après on peut placer une question orientée chez un patient qui a  »vidé son sac  »
    parfois au contraire on doit aller à la pêche aux information chez un  »taiseux » ou un pusillanime
    tout est affaire de patience et d’habileté
    et pour ma part beaucoup de discussions ésotériques  »médicales » pures sur tel ou tel paramètre vraiment chiadé se sont souvent conclus par :  » au fait ton patient, il est réellement gêné dans sa vie courante ?  »
    si on a pas pris le soin et le temps de bien écouter ledit patient auparavant, on est pour le coup, un peu gêné pour répondre convenablement

  6. cardiologue de brousse Dit:

    moi quand j’esssplique, dans ma brousse c’est plutôt :
    – Docteur c’est quoi l’angine de poitrine ?
    – c’est comme la crampe du mollet, mais au coeur donc c’est plusss grave…
    – et l’infractus ?
    – c’est juste après la crampe du coeur si on ne fait rien…
    – et alors ?
    – alors on avait un moteur de Mercedes et on se retrouve avec un moteur de deux-chevaux, forcémment ça va moins vite…
    Pouf ! Pouf!
    pour les beaux quartiers, remplacer Mercédes par Jaguar et deux-chevaux par Smart , mettre quelques accents circonflexes par ci par là et l’affaire et dans le sac
    pour les enseignants, leur conseiller d’aller directement sur internet et donner son numéro de sociétaire du Sou Médical, ça gagnera du temps…

  7. Soleil-De-Marseille Dit:

    Hihihi !
    vous faites référence à Pu-Yi dernier empereur de Chine avec au début du film ( et du livre je crois aussi)une petite leçon sur l’obtention de « confessions » par le régime .
    De mémoire je cite:
     » … il y a les confessions dentrifice et les confession robinet. Pour les confessions dentifrice, il faut presser régulièrement sinon elles s’arrêtent, et pour les confessions robinet il faut un grand coup au départ et puis on ne les arrête plus  »
    Bien sûr, je n’ai jamais frappé qui que ce soit, mais je pense qu’on a là une bonne idée des 2 grands types d’interrogatoires en médecine…;)

  8. Ch'ti D1 d'adoption Dit:

    Séminaire Med G, Respectables praticiens nous présentant leurs vies, leurs quotidiens.
    Une question nous est lancée…
    « Combien de temps pouvez vous parlez à votre médecin avant qu’il ne vous coupe la parole. »
    Elucubrations nées d’utopies nous servent de réponse, puis la vérité, froide et statistique, tranche:
    30 secondes…

  9. Thorn Dit:

    Ooooh… moi qui me sens si nulle d’aller chez le médecin et de ne jamais parvenir à ne poser ne serait-ce que la moitié des questions que j’ai… ce ne serait pas entièrement de la faute de ma grande timidité alors ?

  10. Dog bless you Dit:

    Très bien dit, très bien pensé. La prochaine fois, j’essayerai d’écouter un peu ce que je dis pour voir si moi aussi, je m’écoute trop… Merci !

  11. Meet Zoé | Openblueeyes Dit:

    […] petite externe que je suis, j’ai pris mon empathie à deux mains et je suis allée la voir. J’ai attendu qu’elle ait fini ses coups de […]

  12. Une passante qui entend rester un peu Dit:

    Bon sang, je fais pareil ! Je ne suis pas médecin mais ma profession nécessite cette écoute attentive que je ne sais pas (encore) vraiment donner. Et je me suis rendue compte que je faisais la même chose avec mes amis… OooooOOOOoooh… Et comment est-ce qu’on trouve le bouton pause finalement ? Ou plutôt : l’as-tu trouvé maintenant ?

  13. fruitconfetti Dit:

    hello, j’ai lu un bouquin il y a peu suite à un article de prescrire sur l’alcoolo dépendance; un livre sur l’entretien motivationnel et depuis…ma vie (professionnelle) a changé! ce n’est pas exactement le thème de ton article mais il y a une grande partie traitant de l’écoute. D’ailleurs j’ai adoré le commentaire d’un lecteur sur le site où j’ai acheté ce fameux livre : « avant je pensais que j’étais bon… »

  14. Docmam Dit:

    Moi dès le début je causais assez peu. Souvent parce que je ne savais pas, et je paniquais. Alors tout en essayant de chercher une réponse, j’écoutais et je souriais.
    Et je me suis aperçu que souvent il n’y avait pas besoin de réponse, parce que ça suffisait au final, que j’écoute.
    En une fraction de seconde je passais de « je suis nulle, je sais pas, je vais pas savoir quoi lui dire » à « vous ferez un bon docteur, parce que vous savez écouter les gens »

  15. Théobald Dit:

    Ahem. Je copierai cent fois.

    Et reviendrai.

  16. jeanne Dit:

    Une ophtalmo très pédagogue m’a expliqué trèèèès longuement que ma fille qui s’était mise à loucher brusquement à 18 mois n’était pas idiote ni stupide pour autant, que ses facultés intellectuelles n’étaient certainement pas en cause…
    Un gentil médecin des urgences m’a répondu qu’il soignait ma fille et pas moi quand en 1998 j’ai demandé d’ajouter le Hiv à la prise de sang, rapport à une crainte qui me restait depuis les 2 transfusions qu’on avait été obligés de lui faire lors de l’ opération de sa craniosténose…

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