Il y a quelques temps, j’ourdissais de poser quelques bombes dans quelques maisons de retraites.
Mes plans ont changé (tout fout le camp ma bonne dame), je vais poser quelques bombes dans quelques pharmacies. Une surtout.
Ce soir, 19h30, je reçois mon patient de 19h. Pas dans ses habitudes d’être en retard, mais comme je l’étais aussi, et que je l’aime bien, et qu’il est vraiment assez pas bien pour ne pas rater une occasion de le voir, je le reçois.
Je le grondouille gentiment que 30 min de retard ça se fait pas, mais j’arrête vite mon râlage : il est vraiment pas bien.

M. Cachex est un de mes rares patients toxico. Le seul, même, je crois.
Vraiment toxico, vraiment attachant, vraiment respectueux, vraiment pas manipulateur. On forme, je crois, une assez bonne équipe depuis les quelques mois où je le vois régulièrement. Paumé jusqu’à la lie, avec toute la désocialisation et les emmerdes physiques que 40 années d’héroïne-cocaïne-subutex-et-substituts-divers-et-variés entraînent, et j’ai un demi-4-tonnes d’anecdotes rigoloto-émouvanto-pathétiques à son sujet, que je ne vous raconterai pas parce que je suis trop folle de rage pour le faire d’une part, et parce que d’autre part je ne pourrais pas le faire sans risquer de grosses entorses au secret médical.
Donc, un patient mal-mal-mal mais pas-si-mal-quand-même.

Depuis un moment, on était dans le pas-si-mal-quand-même. Sous subutex et un peu de cocaïne quand même, réguliers à ses rendez-vous, jamais un coup de travers.

Je le vois ce soir, donc, dans un état où je ne l’avais encore jamais vu.
Mal mal mal, rupture de Subutex depuis plusieurs jours, ayant ENCORE perdu des kilos alors que c’était humainement pas possible de faire plus maigre, TS récente, cris, pleurs, la totale.
J’ai passé une heure et demi avec lui (vos gueules les blasés, j’avais pas raid ce soir rapport que j’ai plus internet, j’avais rien qui m’attendait à la maison rapport que tout le monde est enceinte sauf moi, et il allait vraiment pas bien). Pas moyen de le convaincre pour une hospitalisation, mais j’arrive déjà à apaiser un peu les choses-du-là-tout-de-suite-maintenant.
Sauf que le temps de le faire aller un peu mieux, il est 20h10 et sa pharmacie habituelle est fermée.
Pharmacie qui le connait bien, qui me connait bien, qui connait mon écriture et qui ne râle pas quand je trafique une ordonnance non sécurisée en ordonnance sécurisée en traçant un petit carré en bas à droite en tirant la langue. (Grangeblanche, je te fais des bisous au passage.)**

Bref nous voilà fort dépourvus quand la bise fut venue.
Surtout que des ordonnances ALD sécurisées, j’en ai encore pas.

J’appelle l’hôpital du coin, j’ai une charmante interne en pharmacie (vraiment charmante, sans ironie aucune) qui voudrait bien, mais qui peut point, parce qu’ils peuvent pas filer du subutex à un patient pas hospitalisé. Elle me conseille la pharmacie du coin ouverte 24h/24.
J’appelle la pharmacie du coin, ça répond pas.
J’appelle la pharmacie du coin sur le numéro n°2, ça répond pas.
J’appelle la pharmacie du coin sur le numéro n°3, ça répond pas.
Je cherche une autre pharmacie de garde sur internet, j’ai deux numéros, ça répond à aucun des deux.
J’appelle le commissariat du quartier pour avoir le numéro des pharmacies de garde, ça répond pas.
J’appelle la pharmacie du coin, ça répond pas.
J’appelle l’autre pharmacie de garde n°2, ça répond pas.
J’appelle l’autre pharmacie de garde n°3, ça répond.
– « Aaaaaaaaah, on fait pas le Subutex » qu’il me dit, avant même que j’aie eu le temps de lui raconter mon problème d’ordonnances.
– « Oh. Heuuu, oh, et pourquoi ? » ose-je.
– « Parce qu’on veut pas de cette clientèle-là chez nous« , qu’on me répond.
– « Mmm, ok, je peux envoyer mon patient où ? » tente-je.
– « Ah bah que voulez-vous que j’en sache, je connais pas toutes les pharmacies de la ville« , qu’on me répond.
Cela-dit, c’est un concept à creuser. Ça m’arrangerait pas mal, en fait. « Aaaaah, désolée monsieur, mais le diabète, je fais pas. Allez voir ailleurs s’il vous plaît, XOXO. »
J’appelle la pharmacie du coin, ça répond pas.
J’appelle la pharmacie du coin sur le numéro n°2, ça répond pas.
J’appelle la pharmacie du coin sur le numéro n°3, ça répond pas.

Je finis par me décider : je fais ma prescription sur une ordonnance-sécurisée-pas-ALD, en rajoutant « ALD » en haut à droite, option qui me semble préférable à une ordonnance-ALD-pas-sécurisée en rajoutant un tit carré en bas à droite.
Je ré-essaie dans un moment d’optimisme / bêtise / naïveté intense de rappeler la pharmacie du coin, ça décroche toujours pas. Je l’envoie là-bas quand même, parce que je suis sûre que c’est ouvert et parce que c’est pas loin.
Pour faire un truc vraiment béton, je joins à mon ordonnance un courrier, sous pli que pour une fois je cachette.

Parce que dans la vie, et cet aparté vaut ce qu’il vaut, mais dans la vie, je cachette jamais les courriers que je remets au patient. C’est à son sujet, ça parle de son dossier, c’est à lui, et il a charge de le faire lire au médecin à qui je le confie.
Bref, pour une fois je cachette. J’écris en substance « Bonjour blabla, M. Cachex il est vraiment réglo, je suis vraiment médecin, je suis vraiment en rupture de stock d’ordonnances-qui-vont-bien, je vous promets de vous faxer une ordonnance-qui-va-bien si besoin dès que possible, mais là vraiment faut le dépanner, merci bisous. PS : voilà mon numéro de téléphone perso en cas de besoin, parce qu’il est 20h45 et que là je vais rentrer chez moi. »

22h, coup de fil.
De M. Cachex.
Sur mon téléphone perso.
Ils avaient pas de Subutex à la pharmacie du coin, ils ont refusé de m’appeler, ils avaient pas d’adresse à lui donner où il pourrait trouver son Subutex, il a demandé 3 boîtes de Néocodion **, ils y ont donné, il a boulotté son Néocodion dans la rue et là il va se coucher.

Donc, putain de bordel de merde, cette pharmacie injoignable à qui je m’étais fendue d’un joli courrier pour faire style genre essayons de faire du réseau pluridisciplinaire, il se passe vraiment quelque chose et voilà mon numéro perso pour qu’en cas de problème on essaie de régler ça ensemble pour le bien du patient (non mais je suis vraiment trop CONNE, hein…), cette pharmacie injoignable donc (à quoi ça sert d’être ouvert 24h/24 si c’est pour filer du débouche-nez et du paracétamol, je pose la question) a envoyé chier mon patient, ne lui a donné aucune info sur l’endroit où il pouvait aller, a refusé de m’appeler, et lui a filé dans la foulée mon numéro de portable.
Parce que je l’aime vraiment bien, M. Cachex, mais il est suffisamment instable pour que ça me réjouisse moyen sur l’échelle de Richter de savoir qu’il pourra m’appeler en plein milieu de la nuit à la prochaine occasion.

J’essaie de les appeler depuis bientôt 40 minutes pour leur expliquer ma façon de penser.
Ça répond pas.
Ils ont pas de chance, ils sont pas loin de chez moi.
Demain, moi et mes pieds, on a un petit programme sympathique prévu.

* Pour les non-médecins :
Il y a différents types d’ordonnances, avec du papier différent et tout.
Il y a des ordonnances « sécurisées » pour le produits dont l’usage est contrôlé, comme le Subutex : en bas à droite, il y a un petit carré où on inscrit le nombre de médicaments prescrits, ce qui diminue les risques de traficage d’ordonnance.
Il y a des ordonnances « ALD » pour les malades qui sont pris en charge à 100% pour certaines pathologies : en haut, on écrit les médicaments en rapport avec la pathologie prise en charge à 100%, en bas les autres.
Il y a les ordonnaces ALD-sécurisées qui cumulent tout ça gaiement dans la joie et la bonne humeur.

** Pour les non-médecins :
Le Néocodion, c’est un médicament contre la toux largement utilisé par les toxicomanes rapport qu’il contient un peu de produit qui fait marrer, qui est disponible sans ordonnance, et qu’ils utilisent à dose éléphantesques pour pallier quand ils ont rien d’autre à se mettre dans le coude.

Ici Papa Tango Charly

21 mai, 2010

Il y quatre semaines, à 18h35, je reçois madame, monsieur, petite-fille et bébé.
Tout petit petit bébé, 15 jours à tout péter.

Madame vient du labo d’à côté. Elle me tend une feuille de résultats : « Ils m’ont dit de venir tout de suite. » J’imagine que c’est pour ça que j’ai toute la famille devant moi : sans doute qu’ils revenaient des courses, qu’ils sont gentiment allés chercher les résultats de madame et que les résultats clochaient. C’est sans doute pour ça aussi que je n’ai jamais vu  cette famille : le médecin traitant, c’est pas celui de juste à côté du labo, et le labo a dit « Tout de suite », donc ils sont venus juste à côté.
Coup d’œil rapide à la page pour avoir une idée de quelle cloche on parle : un bon petit syndrome inflammatoire, des blancs à 12 ou 13000, une CRP à 95. Ce qui veut dire, en gros et en résumé, qu’il y a probablement une infection qui traîne quelque part. Mais qui ne nous renseigne pas sur sa localisation.

– Bon, on va déjà vous ouvrir un dossier, dis-je.
Le dossier s’ouvre : madame est jeune, belle et en bonne santé, elle a accouché sans soucis particulier il y a 10 jours. Ok.
– Ok, reprenons votre histoire, alors. Racontez-moi qui vous a prescrit cette prise de sang et pourquoi.
Madame raconte.

Il y a 4 jours, elle s’est mise à avoir une douleur violente, d’un coup, là (elle me pointe du doigt le haut de son ventre, sous les côtes, à droite). La douleur ne la lâche pas, elle n’en peut plus, et elle finit par aller aux urgences gynéco, dans l’hôpital où elle a accouché. Le gynéco ne trouve rien de son côté à lui du ventre, il renvoie la dame aux urgences « normales », pour les adultes qui ne viennent pas d’accoucher.
– Ils m’ont fait une prise de sang, et une radio, et ils ont vu à la prise de sang qu’il y avait une infection, mais ils n’ont rien trouvé, alors ils m’ont donné une prise de sang pour refaire un contrôle dans quatre jours, en me disant de le montrer à mon médecin traitant.
– Mmm, ok. Vous avez un courrier ?
– Non.
– Vous avez une copie de la première prise de sang ?
– Non.
– Bon. Bon bon bon. Ils vous ont fait une analyse d’urines ?
– Oui, mais ils ont rien dit, heuuu je suppose que c’était normal ?
– Bon. Et la radio, c’était une radio de quoi ? Une radio des poumons ?
– Heuuuu, ils m’ont pas dit, je crois qu’ils ont visé par là (elle met une main en haut et une main en bas de son ventre), une radio du ventre peut-être ?
– Mmmm, non, une radio du ventre, ce serait vraiment crétin, enfin peut-être, des fois ils en font un peu dès qu’on a mal au ventre…
– Et puis après ils ont fait une écho, et heuuu, il a dit que c’était pas l’appendicite.

Ok.
Donc.
Donc donc donc, bordel de putain de sa mère d’hôpital de fils de chienne, il est 18h55 un vendredi soir, j’ai devant moi une dame charmante qui ne comprend pas très bien ce qui lui arrive, et qui a un syndrome infectieux dont on ne connait pas la cause. Comme c’est potentiellement embêtant, surtout chez une dame qui vient d’accoucher, ils lui ont dit de contrôler plus tard avec son médecin. Et le médecin, pour contrôler, il a rien.

Parce que 95 de CRP, si la dame avait 45 il y a quatre jours, c’est que c’est plutôt pire. Si elle avait 230, c’est que c’est plutôt mieux.
La dame voit bien que je commence à poser mes questions d’un ton de plus en plus agressif. J’essaie de lui expliquer : « Excusez-moi si je suis un peu brutale, hein, vous n’y êtes pour rien du tout, c’est contre mes collègues que je suis fâchée. »
Du coup, je recommence à zéro, en ré-interrogeant, le petit, la maman, la douleur, les signes associés. J’examine. Tout va bien côté poumons. Elle a clairement mal en haut à droite, elle grimace quand elle inspire très fort et que j’appuie. La vésicule ?
J’appelle l’hôpital. On me passe la ligne 2, la ligne 4, re la ligne 2, et la ligne 6.  J’ai encore 7 patients dans ma salle d’attente. « Aaaaah, me dit la dame de la ligne 6, mais je vais pas pouvoir vous renseigner, on a accès aux archives que jusqu’à 17h, il faut rappeler demain. »
Là, quand même, je m’énerve. Je m’énerve vraiment. Du genre « Passez moi votre supérieur, et collez vous vos archives au cul. »
Je finis par avoir un médecin au bout du fil, qui me lit le dossier : « Douleur en fosse iliaque droite (en bas à droite, donc, à l’autre bout de en haut à droite), blablabla, BU normale, blablabla, CRP 110, blabla, ASP normal, utérus-ovaire-appendice ok à l’échographie. »
Donc ils ont vraiment fait une radio du ventre, ces ânes bâtés (en y cherchant quoi, je vous le demande….), ils ont pas regardé la vésicule à l’écho, et le syndrome inflammatoire était à peu près pareil (95 ou 110, surtout dans deux labos différents, on peut considérer que c’est blanc bonnet).

Je peux vraiment pardonner l’écho qui ne regarde pas la vésicule.  Si la dame avait vraiment mal en bas à droite, ça peut se comprendre. Elle me dit qu’elle a jamais dit qu’elle avait mal en bas à droite, mais admettons, sur ce coup-là, je peux laisser le bénéfice du doute aux collègues. Je peux pardonner la radio du ventre, ce n’est jamais qu’une crétinerie de plus. Mais putain, qu’on ait donné à cette dame la consigne (logique et bien fondée) de contrôler tout ça avec son médecin traitant, sans prendre la peine des quatorze secondes supplémentaires pour appuyer sur « print » et lui remettre une copie de son dossier et de sa première prise de sang, ça, vraiment, ça me laisse sans voix.
Je pourris le type au téléphone.
« C’est pas moi qui l’ai vue, votre patiente, qu’est ce que vous voulez que j’y fasse ? »
« C’est pas ma patiente, de une. De deux, je veux bien que vous y fassiez de dire à vos internes de ne pas renvoyer les gens à leur médecin sans courrier »
« Ça, je suis bien d’accord avec vous », qu’il me dit.
Ça me fait une belle jambe.

Il y a deux semaines, je reçois une jeune fille.
Deux jours plus tôt, elle a fait un tonneau sur l’autoroute. La frousse de sa vie. Elle s’est retrouvée aux urgences, elle ne se souvient pas bien de ce qu’ils ont dit ou fait, toute sens dessus dessous qu’elle était.*
Elle revient me voir pour trois raisons : d’abord, elle s’est mise à avoir une douleur en haut à gauche du ventre, sous les côtes, qu’elle n’avait pas à ce moment-là et qu’elle n’avait pas signalée.
Ensuite parce qu’elle a toujours mal à la main, qu’elle dit en me tendant une pochette de radios.
Enfin, pour que je fasse l’arrêt de travail, parce qu’aux urgences, ils lui ont dit « Cinq jours d’arrêt de travail, mais ils ont pas fait les papiers. »

– Comment ça ils ont pas fait les papiers ? ose-je.
– Bin heu, si, ils m’ont fait un papier, mais c’était marqué « Cinq jours d’arrêt de travail sous réserve de revoir son médecin traitant. »
– Mais heu, il était comment le papier ? C’était un papier marron ? Vous l’avez amené ?
– Bin non, je l’ai oublié à la maison, je suis vraiment désolée, je suis bête, j’aurais dû le prendre. Mais heu, non, c’était un papier blanc, avec marqué ce que je vous ai dit. Moi je croyais que ça irait, mais c’est ma mère, elle m’a dit que c’était pas officiel, et elle m’a fait remarquer que c’était marqué « sous réserve d’une nouvelle consultation chez le médecin traitant », alors elle m’a dit qu’il fallait que je vienne vous voir.
– Mais moi je ne peux pas vous faire un arrêt qui commence il y a deux jours, je ne vous ai pas vue, moi, il y a deux jours ! C’est eux qui doivent vous faire l’arrêt à partir du moment où ils vont ont vue !
– Bin ils ont dit qu’ils avaient pas le droit ?
Bin voyons…

Je m’intéresse à la main. Le cinquième doigt est douloureux et un peu gonflé. Je ne vois rien sur les radios, mais bon, je suis pas bien brillante en radio et ça ne ressemble pas à ça.
– Ils ont dit qu’il y avait une fracture.
– Heuuu ah bon ? Et heuuu, ils vous ont pas mis une attelle, ou un plâtre, ou un truc ?
– Bin heu, non, mais je crois bien qu’ils ont dit que c’était cassé.

Je m’intéresse au ventre. Effectivement, c’est douloureux sur tout le côté gauche, surtout sous les côtes.
J’appelle. Ligne 2 ligne 4 ligne 6, je vous passe les détails.
On me dit qu’on me passe le médecin. Au bout d’encore quelques pérégrinations, ça décroche.
– Bonjour, Docteur Jaddo à l’appareil, dis-je.
– C’est lui-même.
– Heu, hein ?
– C’est moi, que voulez-vous ?
– Heuuu, non, MOI je suis le Docteur Jaddo, j’appelle pour avoir accès au dossier de ma patiente Mme Xxxx que vous avez vue lundi.
– Attendez, qui êtes-vous ?
– Bin, je suis le Docteur Jaddo.
– Aaaaaaaaaaah ! Moi je suis le Docteur Joddo, pardonnez-moi. Que voulez-vous ?
– Je voudrais savoir ce qui s’est passé lundi matin quand vous avez vu Mme Xxxx…
– Ohlala, lundi ? Mais je ne vais pas pouvoir accéder aux dossiers de lundi, moi. Qui êtes-vous pour elle ?
– JEUUUUH-SUUUUUIS-SOOOOON-MEEEEE-DEUUUU-CIIIIIN-TRAITANT ! Je voudrais savoir ce que vous avez fait lundi !
– Ah bah heuuu écoutez, heuuuu, Madame Xxxx ?
– Oui, Madame Xxxx. X, x, x, x.
– Mmm Xxxx. X, x, x, x ?
– Oui, X, x, x, x.
– Alors, X… x…. et x-x..?
– Oui, x-x…
– Alors, son prénom ?
– Marie.
– M…?
– M… A… R… I… E
– Oh, oui, bon, ça y est, alors c’est marqué : « Fracture du 5ème méta ».
– C’est tout ? Fracture du 5ème méta ? Mais, heuu, elle a rien comme contention, là…
– Ah ? On lui a pas fait une attelle ?
– Bin non, elle a rien, jvous dis.
– Mais on lui a pas fait une syndactylie ?
– Bin non.
– Bon, bin, heu, écoutez, moi je vois que ça sur mon dossier, hein, « fracture du 5ème méta ».
– Et elle a eu quoi d’autre comme examen ? Elle me dit qu’on lui a fait des prises de sang, vous avez les résultats ? Elle a eu une BU ?
– Bin je peux pas savoir, hein, j’ai accès qu’à l’examen clinique, moi, c’est marqué « Fracture du 5ème méta », je peux rien vous dire d’autre.
– Ok. Ok, ok, ok. Dites, vous ne trouvez pas qu’on devrait pouvoir avoir un tantinet plus de communication entre l’hôpital et la ville, non ?
– Ah ça, je suis bien d’accord avec vous.
Ça me fait une belle jambe.

J’ai renvoyé la première madame aux urgences, avec un courrier bien senti dont j’espère qu’il ne brouillera pas le Dr Cerise pour les siècles des siècles avec l’hôpital du coin.
J’ai envoyé la jeune fille passer une écho abdo, j’ai demandé au radiologue de re-jeter un coup d’œil aux radios de la main, je lui ai prescrit des antalgiques (puisqu’ ils ne l’avaient pas fait non plus), j’ai fait un arrêt de travail à partir du jour où je l’ai vue. J’ai coché « Prolongation » et j’ai écrit en toutes lettres que l’arrêt initial n’avait pas été remis à la demoiselle par les urgences.

En vrai, je SAIS que les urgences ne peuvent pas tout faire. Je sais bien que l’essentiel du boulot est de faire le tri entre les 98% d’urgences-non-urgentes et le reste, qu’on ne peut pas passer 2 heures auprès d’une fille qui a seulement eu la frousse de sa vie et une fracture du 5ème méta.
Mais s’il vous plaît, s’il vous plaît, chefs, internes, externes qui me lisez : ne laissez plus repartir vos patients sans avoir appuyé sur Print.
S’il vous plaît.
Si seulement ce post pouvait permettre à UN externe ou à UN interne d’appuyer une fois dans sa vie sur print, ce blog n’aura pas été en vain pour rien du tout**.
S’il vous plaît.

* Parce que oui, « sens dessus dessous » ça s’écrit « sens dessus dessous », figurez-vous. Ce qui a beaucoup moins de sens que l’orthographe que j’ai crue bonne jusqu’à mes 24 ans bien tassés : « Sans dessus dessous », qui serait vachement plus logique.
** Une référence en VF. J’espère que quelques amateurs apprécieront.

Point de croix.

30 avril, 2010

Table en verre Ikéa 1 – 0 Vous.

C’est malin, vous avez tout crabouillé le tapis bleu avec votre sang rouge.
Direction les urgences, où vous allez attendre un petit peu avant de rencontrer un type au sourire franc, qui ressemble au Dr Carter et qui va se bétadiner les mains pendant 4 vraies minutes de vaporeuse mousse jaune avant de vous emmener dans une pièce lumineuse carrelée de blanc et de vous poser 8 jolis points de suture, bien propres, bien alignés, derrière un champ bleu stérile, en vous faisant même pas mal ou si peu. Vous ressortirez avec un beau pansement, bien propre, bien blanc, bien sec.

Voilà pour la fiction.

La réalité, c’est Bagdad.

La réalité, c’est que dans le kit de suture de l’hôpital, vous avez un porte-aiguille une fois sur deux, et la mauvaise pince quatre fois sur cinq.
Vous avez un joli champ bleu stérile, pré-troué d’un trou qui fait toujours la même taille, avec du collant tout autour du trou et une bande à enlever pour faire coller le collant, comme sur les enveloppes. Vous avez en face de vous un patient qui a une plaie qui ne fait pas la taille du trou, située à un endroit où vous ne pouvez pas coller le collant.
De toute façon, le collant, une fois sur deux vous devez le découper pour agrandir la taille du trou, et vous vous retrouvez avec un champ collant qui ne colle plus.
L’autre fois sur deux, le trou est trop grand, et pour cibler la plaie, vous avez le choix entre laissez à jour l’oeil, les cheveux et / ou l’oreille du patient.
Et puis comme vous n’allez pas lui coller le bouzin au travers de l’oeil ou en plein dans les cheveux, vous ne le collez pas.
Ou bien il y a 4 ou 5 plaies les unes à côté des autres, et pour en isoler une, il faudrait coller le champ en plein sur les autres, donc vous ne collez pas non plus.
Exit la problématique du collant, donc.

Vous voilà donc avec un joli champ bleu stérile, pré-troué et non collant.
Comme le patient (idiot qu’il est) n’est ni parfaitement plat ni parfaitement horizontal ni parfaitement immobile, ça glisse. Vous lui posez vaguement le trou autour de la joue et  il y a un jour d’un bon 3 centimètre entre la peau et le champ, là, près du nez.
Par ailleurs, depuis le temps que vous vous débattez avec le champ, le patient, les ciseaux et le brancard, le champ n’est plus stérile depuis bien longtemps.

Vous voilà donc avec un joli champ bleu.
Comme il est non stérile, et comme il n’isole absolument pas la plaie du reste du corps, on peut légitimement se demander à quoi il sert.
C’est très simple : il sert à cacher le patient en dessous. Ce qui présente un double avantage très net.  Le premier, c’est que vous ne voyez plus le patient. C’est bien pratique quand on est en train de s’apprêter à enfoncer une aiguille dans quelqu’un. Le deuxième, surtout, c’est que le patient ne vous voit plus.

S’il devait vous voir encore, le problème sera vite réglé, puisque vous allez lui vider une demi bouteille de Bétadine rouge dans l’oeil.
Souvenez-vous : le champ vaguement posé sur la joue, avec un jour 3 cm. Toute la Bétadine que vous versez sur la plaie pour faire semblant de travailler dans des conditions d’asepsie rigoureuse, donc, coule gaiement le long de la joue pour finir dans le nez et dans les yeux.
« Fermez les yeux, monsieur ! » que vous dites…

(Dessin de Boulet)

(Dessin de Boulet)

Puis vient le temps de l’anesthésie. Vous avez une petite bouteille de Xylocaïne, une petite seringue, deux petites aiguilles. La seringue, vos mains gantées et les aiguilles sont stériles. La bouteille de Xylocaïne ne l’est pas. Dans les films, et au bloc opératoire, il y a une infirmière ou un gentil co-externe qui vous tend la bouteille, pour que vous puissiez y planter l’aiguille et aspirer le liquide en restant stérile. Dans la salle de suture, il y a vous, le patient, le champ bleu non collant non stérile et votre désespoir. S’en suivent 10 minutes de solitude extrême, pendant lesquelles vous essayez de résoudre le casse-tête.
Vous pouvez essayer de planter l’aiguille dans la bouteille posée sur la table, en visant bien droit et bien vertical pour que tout ne se casse pas la gueule. Vous aspirez environ 0,2 mL de xylo avant que l’aiguille ne soit trop courte pour atteindre le fond de la bouteille. Ingénieux que vous êtes, dans un mouvement rapide et habile, vous retournez la bouteille, qui reste plantée au dessus de votre aiguille, pour en aspirer un peu plus, c’est à dire jusqu’à ce que cette fois l’aiguille soit trop longue. Ensuite, vous voilà avec l’aiguille fichée dans la bouteille non stérile. Vous retirez  la bouteille en vous servant de votre main gauche que vous dé-stérilisez au passage. Vous essayez d’en profiter pour réaspirer un petit peu, mais comme vous n’avez plus qu’une main pour le faire, c’est moyen facile. Au final, vous vous servez de votre main droite toujours stérile pour poser la seringue sur la table sur laquelle vous aviez déposé champ bleu stérile n°2, kit de suture et fils.

Vous changez de gants. Vous changez d’aiguille. Vous enfoncez l’aiguille n°2 dans la berge de la plaie, pour injecter le précieux produit anesthésique. Vous poussez. Ça ne vient pas. Vous poussez un peu plus fort. Résistance dans l’aiguille. Vous bougez un peu l’aiguille de place (« J’en ai pour une minute, monsieur, ensuite vous ne sentirez plus rien ») et vous repoussez. Ça ne vient toujours pas. Vous poussez plus fort. La seringue se désadapte de l’aiguille  dans un geyser de Xylocaïne qui se répand dans la plaie, coule le long de la joue pour finir dans le nez et dans les yeux. (« Fermez les yeux, monsieur ! »). Vous auriez été bien avisée de suivre le même conseil, puisque l’explosion a atteint les vôtres.
Il faut changer l’aiguille. Vous allez en chercher une nouvelle dans le tiroir d’à côté et rechangez de gants.
L’interne passe sa tête par la porte : « Quoi ? Mais t’as pas encore fini ? Il te faut combien de temps pour faire 5 points de suture ?  »
Vous n’osez pas lui dire que vous n’avez pas encore commencé.

Avec un peu de chance, il vous reste suffisamment de Xylo dans la seringue pour réitérer la manœuvre un centimètre plus loin. Sinon, vous êtes reparti pour l’étape précédente.
A la fin, vous avez injecté à peu près un petit cinquième de ce qui était prévu dans la peau du patient. Le reste s’est réparti un peu partout ailleurs. De toute façon, là où vous avez réussi à injecter, le patient aura mal tout pareil qu’ailleurs. Tout ce que vous avez réussi à faire, c’est de déformer les berges pour rater votre point parce que les berges sont pas déformées pareil d’un côté et l’autre et que vous n’allez  plus savoir où piquer pour faire symétrique.

Vous commencez enfin la suture. Le fil fait environ 3 mètres de long, soit 2 de plus que la plus grande longueur du champ. Pendant que vous en enfilez une extrémité dans le monsieur, l’autre extrémité vit sa vie et folâtre. Sur le champ, sur le brancard, dans les cheveux du patient. Autant pour le fil stérile.
Vous faites un point. Avec votre pince qui ne pince pas et votre porte-aiguille qui n’accroche pas, ce n’est pas terriblement évident, mais vous vous en sortez honorablement.
Vous avez serré ni trop, ni trop peu, en bonne Boucle D’Or que vous êtes.
Vous répétez l’opération encore 7 fois. Vous changez de gants une fois ou deux, rapport aux gants de l’hôpital qui sont fournis avec leur propre système de transpiration autonome intégré.

Fini ! C’est fini. Avec un soupir contenu de soulagement, vous allez chercher un pansement.
Pour vous retrouver devant l’exacte même problématique de taille et de collant-qu’on-ne-peut-pas-coller que tout à l’heure. Il vous faut 20 minute de bricolage approximatif pour avoir un truc qui ne recouvre pas l’œil et qui colle à peu près. Pas partout, parce que le bord du haut, on peut quand même pas décemment  le coller sur les cheveux, mais du moins suffisamment pour que le pansement tienne et cache la plaie. C’est tout ce que vous demandez pour laisser le patient s’exposer à la vue de sa famille et de l’interne.

Et puis à mesure des gardes aux urgences, vous découvrez toute la panoplie des combinaisons rigolotes.

La réalité, c’est les plaies en double M inversés avec des bouts de peau arrachés et déjà à moitié morts que vous savez plus comment relier ensemble.
La réalité, c’est la plaie au milieu des cheveux que vous êtes censés raser avant de suturer. (Faites l’effort d’imagination requis, s’il vous plaît, pour vous visualiser en train de passer un rasoir Bic sur une plaie. Et pour imaginer l’état de la plaie après, avec tous ses petits bouts de cheveux qui trainent dedans)
La réalité, c’est le patient bourré qui fait des bonds à intervalles réguliers en jurant.
La réalité, c’est mon collègue à qui on avait demandé quand il était externe de faire les premiers points de sa vie sur la joue d’un enfant de 5 ans.

La réalité, c’est pas les pieds de porc.

28/04/10 : (Photo à venir du courrier que j’ai reçu ce soir de l’Urssaf. C’est trop beau pour être vrai. Je trouve comment vous mettre une photo et j’édite. Merci, merci, merci de venir illustrer si parfaitement mon post précédent. Il y a bien longtemps que j’avais pas ri autant. J’ai encore un peu mal au ventre.)

30/04/10 Avant hier, donc, j’ai reçu deux courriers de l’Urssaf. Difficile de vous décrire dans quel état d’esprit on ouvre les courriers de l’Urssaf. Une espèce de curiosité gourmande, mais avec un soupçon de trouille au fond.
Déception à la lecture du premier courrier, sans grand intérêt.

Voilà le courrier n°2 :

Le courrier n°1, c’était une pub pour le prélèvement automatique, qu’on me conseillait vigoureusement.

Je pense que je vais décliner.

J’ai craqué, il y a trois semaines.
J’ai appelé.

Je le savais, que c’était une grossière erreur. Pertinemment. Je savais que j’aurais en raccrochant davantage de questions et des envies diffuses d’attentat à la bombe. Mais je suis faible. Je suis naïve. Je suis jeune et pleine d’espoirs.
Et puis surtout j’étais acculée. Je me suis donc planifié une matinée Urssaf et j’ai posé une demi-journée de congé.
(C’est pas vrai ; en vrai je bosse pas à plein temps. Comment les gens qui bossent à plein temps arrivent à joindre l’Urssaf au téléphone, ça reste pour moi un mystère insondable.)

– 1er appel, on me déclare après 1 minutes 32 de bande annonce pour leur site internet qu’aucun conseiller n’est disponible et qu’on me remercie de renouveler mon appel un peu plus tard.
– Un peu plus tard, 2ème appel, on me déclare après 1 minutes 32 de bande annonce pour leur site internet qu’aucun conseiller n’est disponible et qu’on me remercie de renouveler mon appel un peu plus tard.
– Un peu plus tard, 3ème appel, on me déclare après 1 minutes 32 de bande annonce pour leur site internet qu’aucun conseiller n’est disponible et qu’on me remercie de renouveler mon appel un peu plus tard.
M’en fous, j’ai prévu le coup. J’ai mon café, mon paquet de Marlboro, mon triple fenêtrage sur le PC, mon chargeur de téléphone à portée de main ; je suis PRETE.
– Un peu plus tard, 4ème appel, victoire ! On me déclare qu’un conseiller va prendre mon appel, qu’on est désolé pour l’attente qu’on espère me rendre agréable sur fond de Vivaldi, et que je peux retrouver toutes les informations relative à ma situation sur doublevédoublevédoublépointurssafpointéfer.
– Douze minutes plus tard, je suis obligée de me rendre à l’évidence : je pensais être préparée, mais je le suis mal. Le café est une mauvaise idée, je dois raccrocher pour faire pipi.
– Un peu plus tard, 5ème appel, on me déclare après 1 minutes 32 de bande annonce pour leur site internet qu’aucun conseiller n’est disponible et qu’on me remercie de renouveler mon appel un peu plus tard.

Au quinzième appel, j’ai quelqu’un. Un type charmant comme d’habitude.
Je ne plaisante pas, ils sont VRAIMENT charmants. Je les soupçonne d’être très lucides sur la qualité et sur la clarté de leur organisation, alors ils compensent. Je ne sais pas comment ils tiennent le coup pour rester souriants, alors que je suppose qu’ils enchaînent les coups de fil épuisants, au mieux de gentilles demeurées comme moi qui ne comprennent rien mais avec gentillesse, au pire de types non naïfs, non jeunes, agressifs et énervés.
Bref, je tombe sur un type charmant.

– Bonjour, je suis vraiment désolée que mon coup de fil tombe sur vous, mais j’ai des questions. Un tas de questions, j’espère que vous avez du temps devant vous.
– Uhuhuh, écoutez Madame, vous savez, je n’ai pas le droit de rester trop longtemps au téléphone avec le même interlocuteur, dans dix minutes je suis obligé de raccrocher, mais je vais faire un gro-t-effort et je vais faire le maximum.
– C’est très gentil à vous de faire un gro-t-effort, me suis-je entendu dire (je ne suis pas d’un naturel moqueur, mais après 2h15 pour avoir quelqu’un au téléphone, c’est sorti tout seul). Je vais essayer de commencer par le début, et on verra jusqu’où on peut avancer. Alors. Première question : j’ai un problème de courrier en ce moment. J’ai déménagé, j’ai fait un transfert de courrier, mais ça ne fonctionne pas et ça fait un mois que je ne reçois pas de courrier. Étant donné que la fois dernière vous m’avez envoyé les huissiers pour me réclamer une somme que vous ne m’aviez jamais demandée auparavant, je me méfie un peu, et je voulais vérifier que je n’avais pas manqué une lettre importante ce dernier mois, que je ne suis pas en retard pour quelque chose ou je ne sais quoi.
– Alors, pour déclarer un changement d’adresse, il faut nous envoyer un courrier, madame.
– Non non, mais c’est pas ma question. C’est juste pour vérifier que vous ne m’avez rien envoyé d’important que j’aurais raté au courant du mois dernier.
– Oooooooooooooh, d’accord ! Alors, regardons….

Et on a regardé. Le bilan, donc, après dix minutes de gro-t-effort :

1) Je ne suis en retard pour aucun paiement. Mais c’est quand même bizarre étant donné qu’il y a un paiement de 508 euros que j’aurais dû faire début février, mais que je n’ai visiblement pas fait, mais en même temps c’est marqué nulle part que j’ai un impayé, donc c’est sans doute que tout va bien, mais il n’est pas sûr parce que c’est bizarre quand même que j’ai un paiement pas payé mais pas impayé quand même. Je me suis inquiétée, arguant en substance que si y a un truc que j’ai pas payé, c’est quand même peut-être que je dois le payer à un moment donné. Il a dit que puisque que le dossier contentieux était vide, c’est qu’il n’y avait pas de contentieux et que je ne peux pas régulariser une situation qui n’est pas signalée comme étant irrégulière. Un super-conseiller devra me rappeler dans deux jours pour essayer de tirer ça au clair.
2) Mon dernier paiement par TIP de 43 euros, par contre, il ne sait pas du tout à quoi il peut bien correspondre, est-ce que j’aurais une idée de ce que c’est ?
3) Pour éviter d’être dépendante du courrier et d’être embêtée par ces histoires de lettres perdues, il me suggère de m’abonner à doublevédoublevédoublépointurssafpointéfer, c’est super pratique et on peut tout gérer depuis le site. Ils m’enverront un mot de passe par courrier en, je cite, « croisant les doigts pour que je le reçoive ».
4) Il ne sait pas du tout pourquoi j’ai DEUX comptes Urssaf, dont un en tant que « Praticien auxiliaire médical » sur lequel on m’a demandé un paiement en 2008 puis plus rien. Suis-je bien sûre et certaine de n’avoir jamais été auxiliaire médicale en 2008 ? Mmmm c’est très bizarre, et un super-conseiller devra me rappeler dans deux jours pour essayer de tirer ça au clair.
5) ((Long préambule : Pour faire ma déclaration d’impôts aux impôts, j’ai besoin d’avoir le détail de ce que j’ai payé à l’Urssaf. La ventilation, ça s’appelle. En gros, je dois savoir que sur les 1000 euros payés en juin, c’était 200 de CSG + 500 de CRDS + 300 de AF. Évidemment, je n’ai pas le moindre début de commencement d’idée de ce qu’est la CSG ou la CRDS, mais je sais que je dois savoir combien j’ai donné pour quelle part à chaque fois)) . C’est merveilleux, l’Urssaf me fournit gentiment les documents détaillant la ventilation de tous mes paiements. Le problème, c’est qu’aucun paiement déclaré par l’Urssaf sur le merveilleux document ne correspond à ce qui a réellement été prélevé sur mon compte en banque. Donc je suis bien embêtée pour faire ma ventilation, puisqu’on me donne le détail pour des sommes qui ne correspondent à rien sur ma comptabilité. Lui non plus ne sait pas du tout à quoi correspondent les montants qu’on m’a débités. Par exemple, le chèque de 1345 euros de novembre : « Le plus proche qu’il voit c’est 1569 pour l’échéance de décembre, alors c’est peut-être ça », qu’il dit. Moi aussi, ducon, le plus proche que je vois c’est 1569, mais  ça va être un tout petit peu imprécis pour les impôts…  Un super-conseiller devra me rappeler deux jours plus tard pour essayer de tirer ça au clair.
6) Il va d’ailleurs m’envoyer gentiment en plus ces documents par courrier. En croisant les doigts pour que je les reçoive, toujours.
7) Je n’ai jamais vu autant de mystères sur le compte d’une seule personne ! qu’il s’ébaubit, ce con…
8) D’ailleurs il vient de se rendre compte qu’il leur manque mes « cotisations sociales personnelles obligatoires déclarées pour l’année 2008 (hors csg – crds)  » , et que ce serait bien que je leur envoie. J’ai jamais souvenir qu’on m’ait demandé ça, je ne sais foutrement pas ce que c’est ni où le trouver. Le monsieur se ferait un plaisir de me l’expliquer, mais les dix minutes sont malheureusement écoulées. De toute façon, je n’ai pas à m’inquiéter, il m’envoie la demande par courrier.

Je suppose qu’il est inutile de vous préciser que trois semaines plus tard, je n’ai pas reçu de courrier, et qu’aucun super conseiller ne m’a rappelée.
Je dois rappeler.
J’ai peur.
J’ai vraiment, vraiment peur.

Dépression cardiogénique

28 février, 2010

Il a 52 ans et il a vu des médecins trois fois dans sa vie.

La première fois lors de son premier infarct. Hospitalisé, coronarographé, stenté. Il est sorti avec une ordonnance pour 6 mois, alors au bout de 6 mois il a arrêté son traitement.
La deuxième fois six ans plus tard, à l’occasion d’une nouvelle douleur thoracique. Hospitalisé, mais cette fois ECG normal et tropo normale. On l’a gardé 3 jours dans le service de cardiologie, on lui a fait une poignée d’examens et il est sorti avec une ordonnance pour « jusqu’à nouvel ordre » (la gueule du pharmacien…) et la consigne ferme de trouver un médecin traitant, cette fois.
La troisième fois au sortir de son hospitalisation, dans mon cabinet, me disant « Je viens pour chercher la maladie » en me tendant un dossier d’AAH*. (M’est avis que t’as pas besoin de mon aide pour l’avoir, la maladie, coco…)

Il me montre son ordonnance, évidemment longue comme un jour sans clope. Dix ans de cardiopathie ischémique non traitée, ça se rattrape.
En tout, il doit avaler 36 comprimés / sachets / gélules par jour. J’imagine que pour quelqu’un qui ne prenait strictement rien, ça fait un sacré jump.
Sur la liste, des tas de trucs de cardiologue. Et puis un antidépresseur et des anxiolytiques.

Sur le compte rendu d’hospitalisation (que je recevrai bien sûr quelques bonnes semaines plus tard) :

Examen clinique à l’entrée :
Blabla, conscience, constantes, douleur thoracique constrictive, blabla, « syndrome anxio dépressif majeur ».

Moi je dis ils sont forts à l’hôpital.
Parfois des semaines à moi, que ça prend, d’évaluer si un patient est dépressif ou pas, et si ça mérite ou pas un traitement.
Eux, ils sont tellement balèzes que dans un box sordide, pour un patient en pleine douleur thoracique qui doit se demander s’il va y passer ou pas, ça leur prend le temps d’un « examen clinique à l’entrée ».
Moi je dis chapeau.

*AAH : Allocation Adulte Handicapé.

Ma mère raconte souvent les colères homériques que je piquais devant mes devoirs quand j’avais 7 ou 8 ans.
Paraît-il que je tapais du pied, que je criais, que je lançais mes crayons à travers la pièce. Il faut bien avouer que ma mère a un goût particulier et un grand talent pour l’enjolivement des histoires, surtout celles qui racontent ses filles. Mais quand même, même si je ne me souviens pas du lancer de crayon, je me souviens très nettement de mon état de fureur bouillonnante devant ces livres idiots.
Exercice 11 page 43 : Conjuguez les verbes entre parenthèses.
– Hier, pour ses 8 ans, Martine (souffler) les bougies du  gâteau d’anniversaire au chocolat que sa maman a cuisiné.
La réponse, c’était « a soufflé ». Sauf qu’on pouvait pas répondre « a soufflé ». Interdiction formelle de la maîtresse. Fallait écrire : « Hier-pour-ses-8 ans-Martine-a soufflé-les-bougies-du-gâteau-d’anniversaire-au-chocolat-que-sa-maman-a-cuisiné ».
J’avais tenté plusieurs fois les points de suspension, l’allègement de la phrase genre « Martine a soufflé les bougies de son gâteau », j’avais même essayé de négocier de faire en plus les exercices 12 et 13, pour compenser (ce que je trouvais d’ailleurs diablement plus formateur que de recopier que le gâteau était au chocolat). Non non non, la maîtresse elle disait.
Et vraiment, ça me rendait folle de rage. Le genre de rage à laisser une étincelle au milieu du ventre qu’un simple souvenir suffit à raviver 20 ans plus tard : je la sens flamber sous mon estomac au moment même où je tape ces mots.

Dans le même genre, paraît que Maman m’a retrouvée dans la cour de l’école à la fin de mon tout premier jour de CP, à shooter avec une application frénétique dans une poubelle qui ne m’avait pas demandé grand chose, parce que je ne savais pas encore lire. « Aaaaaah ! C’est gagné ! RIEN ! On a appris RIEN ! » que je criais en martelant la poubelle. Paraît-il.

Tout ça pour vous dire que ma haine de la perte de temps éducative et du gaspillage d’énergie dans la stérilité scolaire ne date pas d’hier.
Et puis pour frimer un peu, j’avoue. J’aime bien l’histoire de la poubelle.

Bref, j’arrive à mon tout premier jour d’internat à la réunion de la fac. Programme, organisation des cours, critères de validation des enseignements, tout nous est expliqué dans le détail.
On nous distribue des petites pochettes à nos noms, avec des petites feuilles et des petits cahiers. On sent qu’il y a du travail et de l’application, peut-être même un peu d’amour derrière tout ça. On sent qu’une réforme vient d’annoncer que la médecine générale était une spécialité au même titre que toutes les autres.
Y a un des cahiers qui porte un nom furieusement excitant : Carnet des compétences à acquérir au cours du DES de Médecine Générale. Et alors, dedans, y a des tas de pages pleines de petits tableaux avec des petites colonnes.
« Pour chaque item et au cours de chaque stage, indiquez quel est le niveau que vous avez atteint. Tout au long du stage, montrez ce carnet à l’un de vos référents pédagogiques (sic) qui doit y apposer sa signature » .

Je ne rêve pas. J’ai mes petits stages en colonnes, 6 stages, et pendant les 3 années à venir, et je dois mettre à côté de chaque petit item :
0 quand « Je n’ai pas rencontré ce problème au cours de mon stage » ,
1 quand « J’ai été confronté au problème mais j’estime que je n’ai pas suffisamment d’expérience pour pouvoir le gérer correctement une autre fois » , et
2 quand « J’ai été confronté au problème plusieurs fois et j’estime maintenant pouvoir le gérer » .
Et puis je dois aller voir mon « référent pédagogique » pour qu’il y « appose sa signature ».
J’ai 25 ans. J’ai 25 ans, et 7 ans de fac derrière moi, bordel de dieu.

La découverte des « items » est délicieuse. Je décide d’en rire puisque je n’ai plus l’âge de lancer des crayons à travers la pièce, et qu’il manque cruellement de poubelles dans l’amphithéâtre. Ils sont rangés par ordre alphabétique, dans des jolis tableaux, et y en a 17 pages.

Dans le tableau « Problèmes aigus » , et je jure que je n’en invente aucun : Céphalée. Constipation. Diarrhée. Douleur au genou. Douleur au coude. Douleur d’une ou plusieurs articulations. Nez bouché, nez qui coule.  ô Joie.
Dans le tableau « Gestes techniques », entre « Toucher rectal » et « Palpation de la thyroïde » : « Suivi d’une grossesse ». Je ne cherche plus à comprendre.
« Reconnaître un molluscum pendulum » sur une ligne, « Suivi de l’enfant » sur sa jumelle d’en dessous, comme si les deux avaient la même importance.
« Suivi de l’enfant », tiens, c’est cool. Je cherche « Suivi de l’adolescent » (je trouve), « Suivi du nouveau-né » (je trouve) et « Suivi de la femme » (je trouve).
C’est couillon, il manque « Suivi de l’homme » ; je t’aurais résumé les 17 pages en 4 ligne que ça aurait été vite vu.

Le truc qui me peine, c’est d’imaginer qu’il y a des gars pétris de désir de bien faire qui se sont réunis pendant des heures pour nous pondre ça, qui y ont probablement passé un temps de toute façon indécent, et qui s’imaginent que, pendant trois ans, on va remplir nos petites cases avec nos petits bics et courir après nos « référents pédagogiques » (encore faut-il savoir qui ils sont, encore faut-il qu’ils sachent qui on est…) pour avoir leurs petites signatures, et que dans trois ans, on ira leur rendre la poitrine gonflée de fierté le petit carnet rempli de 2 tout partout. Carnet qu’on n’aura bien sûr pas paumé et qu’on aura plastifié amoureusement pour qu’il tienne le coup 6 semestres et 4 déménagements durant.
En tournant les pages, j’ai une bouffée soudaine de solidarité pour les infirmières, dont celles qui ont 30 ans de bouteille, qu’on oblige à remplir leurs cahiers de transmission en respectant les petites colonnes proprettes. « Problème » (Il est constipé) , « Solution mise en oeuvre » (On y a filé un laxatif) , »Résultat » (Il a fait caca).
Pauvres de nous.

Voilà pour les « Compétences à acquérir ».
La prochaine fois, puisque vous avez été sages d’une part, et que ce post serait indigestement trop long de l’autre, je vais vous raconter les « Portfolio » dans lesquels on doit mettre nos « Traces d’apprentissage » et nos « Récits de Situations Complexes Authentiques ».
Oh, et les séances de tutorat, bien sûr.

Elle est infirmière, et elle est enceinte. Deux bonnes raisons pour qu’elle me soit sympathique.
Elle ne me l’est pas.
Du genre à vouloir une fibroscopie parce que « ça fait drôle » quand elle boit trop froid, 2 semaines d’arrêt de travail parce qu’elle est constipée  et deux rendez-vous sur un seul créneau.

Elle vient, cette fois, pour son suivi de grossesse. Et puis parce qu’elle a peur d’avoir une bronchite.
Elle me tend son bilan du 5ème mois. Un bilan de cinq mois, pour elle comme une grosse majorité de femmes, c’est protéinurie, sérologie de la toxoplasmose  et c’est tout.
– Qui vous a prescrit ça ?
– Bin c’est mon bilan de cinq mois. (elle ose !)
– Ah bah non, c’est pas un bilan de cinq mois ça. Et puis je ne vous demande pas ce que c’est, je vous demande qui vous l’a prescrit.
– Bin le Dr Carotte, affirme-t-elle sans se dégonfler.
– Le Dr Carotte ne vous a pas prescrit ça. (moi aussi je sais affirmer, tu vois…)

Sur les 7 pages que j’ai sous les yeux s’alignent sagement, tenez-vous bien (surtout toi gentil médecin-conseil, si tu nous lis) :
* NFS-plaquettes
* VS-CRP
* glycémie à jeûn
* ionogramme complet y compris trou anionique (je me permets un lol)
* urée, créat, CEC
* acide urique (je me permets un olol)
* calcium, phosphore
* magnésium plasmatique (je me re-permets un ololol, tellement les bras m’en tombent. Il est fluoté en jaune, d’ailleurs, le magnésium plasmatique, rapport qu’il est en dessous des valeurs normales indiquées juste à côté. Que quelqu’un me dise dans quelles circonstances il a déjà eu le moindre intérêt à prescrire un magnésium plasmatique que je me couche moins bête ce soir, s’il vous plaît)
* attention ça devient magique : CPK, LDH, troponine (olololololol ??)
*ASAT ALAT PAL gGT amylase lipase
* TP TCA
* TSH T3 T4
* protéinurie et ECBU
* vit D (les touches « o » et « l » de mon clavier viennent de décéder)
* sérgie txpamse

Le courage me manque pour expliquer aux non-médecins la connerie abyssale de la chose que j’ai sous les yeux. Pour que vous vous rendiez un peu compte, disons que c’est d’une inutilité qui rejoint presque celle de l’apport de Michel Leeb au patrimoine de l’humour français. Sans compter que non content d’être à-la-con, ce genre de bilan est dangereux, pour des raisons que je n’ai plus le courage de vous expliquer ici après avoir fait longuement face au regard bovin de mon infirmière enceinte pendant que j’essayais laborieusement de lui faire rentrer dans le crâne (et pourtant, ce n’est visiblement pas l’espace qui manquait) que non, son « collègue à l’hôpital » qui a « tout coché pour qu’on soit tranquille » ne lui a pas rendu service. Ni à moi, ni à la sécu. Elle n’a quand même pas osé me demander une supplémentation en magnésium, elle a dû lire quelque chose dans mes yeux qui a libéré une poignée de neurotransmetteurs au milieu de sa paire de neurones.

On passe à sa bronchite fulminante aiguë, qui s’avère à la surprise générale être un bon gros rhume. Et encore, je dis ça pour lui faire plaisir. C’était un rhuminet.
Rhuminet qu’elle a traité elle-même pour que ça ne tombe pas sur les bronches (pitié, que quelqu’un m’achève), avec un sirop homéopathique comme ça c’est pas dangereux pour le bébé vu que c’est que de l’homéopathie, et dont elle termine sa troisième bouteille parce que ça marche pas très bien alors elle en prend plus puisque c’est que de l’homéopathie et que ça peut pas faire de mal.
Voui. Juste, c’est ballot pour les 2% d’éthanol.

Moi j’dis, quitte à picoler, tu te serais fait un bon grog Hépar – Rhum – Citron – Sucre, bien chaud, que ça nous aurait épargné trois consultations.

J’ai quelques bons souvenirs de mes stages de Traumato.
C’est pourtant un condensé incroyable de tout ce que je hais dans la médecine.
C’est pourtant ce qui m’a appris ce que je ne voulais pas faire dans la vie.
C’est pourtant là qu’on trouve les plus merveilleux chiiii-ruuuuuur-gieeeeeeens.

Tout y est. Vraiment. Les poils apparents sous le V du pyjama de bloc, la chaîne en or, les blagues machos pas drôles et les rires gras, la négligence totale de la drôle de boule accrochée au torse qui émet des sons là-haut, loin loin au dessus de la jambe.
Du chiiii-ruuuuur-gieeeeen dans toute sa splendeur.
Moi je dis, quand la réalité colle à ce point au stéréotype, ce n’est plus un stéréotype.

Et pourtant, j’ai fait 3 stages de traumato, dont deux semi-volontairement, ce qui revient à peu près au même qu’un tout entier de mon plein gré, et j’en ai de bons souvenirs.

Bon souvenir d’avoir appris à faire mes premiers noeuds de chirurgien autour du goulot d’une bouteille de vodka, avec tous les fils qu’on avait pu récupérer au bloc, un soir où j’avais eu l’honneur extrême d’être invité par mon externe à une soirée chez lui avec rien que des externes sauf moi, petite inter-P1-P2.  Et mine de rien aujourd’hui, pour attacher le lien des sacs poubelle d’une seule main, alors que de l’autre on est toute occupée à empêcher le sac de se casser la gueule et le tournicoti du haut de se dérouler, ça reste vachement utile.

Bon souvenir de ma découverte à la fois déçue et émerveillée, que la traumato, ça a l’air prodigieux comme ça à première vue, mais c’est rien que des choses qu’on PEUT comprendre, nous, humains. C’est jamais rien que de la mécanique. C’est cassé ? Bin on colle, on soude, on y met une vis. On donne des coups de marteaux avec un marteau, on perce avec une perceuse, on colle avec de la colle.
Une fois, on s’est occupé du coude d’un monsieur qui s’était vautré en scooter. La phrase est à prendre dans son sens le plus pur, on s’est occupé de son coude. A savoir que le coude avait explosé en plein de morceaux, et que c’était un foutoir pas possible. On n’y comprenait rien, y en avait dans tous les sens.
Alors on a sorti le coude, morceau après morceau, et on a posé les morceaux sur la table d’à côté. On était trois assis autour de la table, à deux bons mètres du champ opératoire et du propriétaire du coude. On se serait tenu le menton entre les mains si on avait été dans un épisode d’Urgences, quand les gars feuillettent le dossier du malade  avec leurs gants stériles. Ils ont pas encore intégré l’ibode obèse qui vous crie dessus que tu t’es salie et que maintenant tu sors ! , dans Urgences.
– Tourne le, ce bout-là, pour voir ? Regarde, c’est pas un bout de trochlée ?
– Mmmm, attends, et si je tourne celui là, et que je le mets là, à la place de l’autre ?
De temps en temps, un autre chir passait du bloc d’à côté, et il y allait de sa petite suggestion, penché au dessus de nos épaules : « Essaie voir en mettant ce bout là au milieu ? »
A la fin, on a fini le puzzle, on a tout vissé sur la table pour refaire un semblant de coude, on a réveillé l’anesthésiste et on a remis le coude à sa place de coude. On a vissé aux os qui restaient encore à l’intérieur du monsieur, et on a refermé.

Mais mon meilleur souvenir de traumato, c’est sans doute parce que j’ai une sensibilité exacerbée à l’humour absurde et au comique de répétition.
La même scène, à chaque fois, et chaque fois ça me faisait marrer. De préférence quand il y avait un public attentif suspendu à nos lèvres.
Un gars s’était vautré en scooter (on voit préférentiellement des gars qui se sont vautrés en scooter, en traumato), on était un belle rangée de blouses blanches avec nos 10 ans d’études et nos 150 de QI à examiner la radio avec attention, et avec cette fois vraiment le menton entre les doigts, pendant 5 bonnes minutes de silence, dans un moment de réflexion totale.
On regardait ça, en faisant « Mmmmmmm…… »

Et puis quand le suspens était à son comble, quand tout le monde attendait le verdict du chirurgien, il hochait la tête, et il faisait :
« Mmm…. C’est cassé. »

Bin ça me fait encore marrer.

Cart Vitale

17 janvier, 2010

J’aime bien la neige. Parce que c’est joli, et parce que les gens réfléchissent à deux fois avant de sortir de chez eux.
Parce qu’en arrivant le matin dans la cour du Dr Carotte, elle n’est pas déjà pleine à craquer de gens qui m’attendent dans le froid.

Une après-midi calme, donc.
Dans ma salle d’attente, un seul type. Qui ressemble à peu près à lui.
C’est rigolo tout ce qu’il y a dans le non-verbal. Comment on peut savoir qu’un type ne parle pas un mot de français avant même qu’il ouvre la bouche, juste à ses yeux et à son air, à sa façon de se lever quand on l’appelle dans la salle d’attente, à sa façon de serrer la main.
Il n’a donc pas encore ouvert la bouche que je me dis « Et merde, bordel, encore un pénisalgique »

Parce que la tendance s’est largement confirmée depuis. Je crois que comme je m’en veux un peu de les détester (je déteste tous mes patients qui ne parlent pas français, moi qui suis si mauvaise en anglais, si médiocre en examen clinique et pour qui la discussion est tellement importante), je redouble d’efforts pour compenser, et qu’en définitive, alors même que j’essaie désespérément de leur faire savoir que je suis mauvaise, que je ne sais pas faire de la bonne médecine si je ne peux pas parler, qu’il y a des endroits plus adaptés pour la médecine des migrants, avec des traducteurs et des gens qui s’y connaissent, en définitive disais-je donc, je leur accorde plus d’attention que ce à quoi ils sont habitués et on se refile mon adresse sous le manteau.
C’est flagrant. J’en vois un, je lui dis qu’il faut absolument qu’il vienne avec un traducteur la prochaine fois, et dans la demi-heure, j’en ai un autre dans la salle d’attente qui bosse au même restaurant que le premier et qui ne parle pas davantage français.
Va la voir ! qu’ils doivent se dire en pakistanais pour une raison qui m’échappe totalement.

Et c’est toujours la même chose. Enfin, j’ai un peu complété le tableau syndromique depuis : la pénisalgie n’est pas constante. Fréquente, mais pas inévitable. Deux autres grands motifs de consultation : la fatigue et la jambalgie. Ils ont mal au pénis ou à la jambe, ou les deux. Et ils sont fatigués fatigués. Tous. Tout le temps.
Je ne suis toujours pas sûre de ce qu’il y a derrière. Demande de recherche de MST ? De Viagra ? De check-up ?
En tout cas ça fini à peu près toujours de la même façon : vaccinations, « check-up » et paracetamol.

Celui-là parlait aussi mal anglais que tous les précédents (c’est peut-être ça qui leur plait chez moi, réflexion faite : je parle anglais encore plus mal), il était fatigué et il avait mal à la jambe.
En tout début de consultation, j’ai eu un espoir : il m’a tendu une radio de poumons et un bilan biologique qui avaient été prescrits par le Dr Carotte. Qui n’avait pas ouvert de dossier, bien sûr, ça fait un an que je lui crie dessus pour qu’il le fasse. J’ai déduit que le monsieur devait tousser, et, la radio et le bilan étant normaux, j’ai cru dans un moment de grande naïveté que j’allais pouvoir m’en sortir à bon compte, d’autant qu’il ne toussait plus depuis les antibiotiques. J’ai cru pouvoir dire « Tout va bien, c’est bien, les examens sont normaux, allez, bisous ».
Et puis non, bien sûr.
« Et puis je suis fatigué-fatigué… », il a dit. Et puis il a dit qu’il avait mal à la jambe. J’ai demandé qui était son médecin, qui il avait vu en France depuis son arrivée il y a 8 mois, il a dit qu’il n’avait vu personne et que c’était moi son médecin.
Ma salle d’attente était vide, le bougre était sympathique, et voilà, c’était moi, son médecin.
J’ai ouvert le logiciel à la page « créer un dossier » en ravalant un soupir.

Je lui ai demandé ses papiers d’assurance maladie, j’ai copié son nom, j’ai vérifié que l’AME était toujours valable : jusqu’en Mai 2010.
Soit, allons-y.

Interrogatoire laborieux, examen clinique laborieux. On a bien passé 5 minutes pour que je puisse tester le releveur du pied, et j’ai échappé de justesse à un ou deux coups de pied dans le menton. « Push ! Push ! No ! Not this way ! »
Examen normal, jambe normale, à la surprise générale.
Et puis, à la toute toute fin, quand j’ai voulu finir de remplir le dossier, j’ai dû taper la date de naissance. 23/11/1978.
Pour un type qui ressemblait à lui, je le rappelle.
– Vous êtes né en 78 ? j’ai dit.
– Oui oui, il a dit.
– Vous avez 31 ans ?
– Oui oui.
– Vous, vous avez 2 ans de plus que moi ?
Je ne sais pas bien ce qui m’a pris, moi qui me refuse toujours à répondre à la question trop fréquente des patients sur mon âge. (« Vous avez l’air très très jeune pour être médecin ! » qu’ils s’ébaubissent… « Ta gueule », que je réponds, en me jurant de me raser les couettes)

Oui oui oui qu’il me dit. Et puis il ajoute qu’il a une disease qui lui fait des cheveux gris.
Au bout de deux fois la disease qui blanchit les cheveux, j’ai dit : « Bon. »

Et puis, dans mon anglais terrible, j’ai commencé une longue tirade. J’ai essayé de dire qu’on ne pouvait pas travailler comme ça. Que s’il voulait que je sois son médecin, je voulais bien, mais que ça ne pouvait pas fonctionner de cette façon là. Qu’il fallait que je connaisse son âge, qu’il fallait qu’il ait deux fois le même nom pour que je puisse retrouver son dossier et savoir ce qu’on avait déjà dit et fait. Que le bilan n’était pas urgent, et qu’il pouvait revenir me voir une fois qu’il aurait ses papiers, qu’il pouvait demander l’AME pour lui, et que quand il reviendrait, il faudrait qu’il me donne son vrai nom, qu’il faudrait qu’il me redonne le faux nom auquel on avait ouvert le dossier, et qu’on remettrait tout ça à plat.
Et pendant ce temps-là, pendant que je lui expliquais pourquoi je n’allais rien lui prescrire, qu’il n’aurait pas d’examens ni de médicaments tant qu’il n’aurait pas ses papiers, pendant, qu’en somme, j’étais en train de le mettre à la porte, pour la première fois depuis le début de la consultation j’ai senti qu’il devenait vraiment mon patient et que je devenais vraiment son médecin.
Merci merci merci, il a dit. Plein de fois.

Bien sûr, il n’avait pas de quoi payer la consultation, en dehors de son faux-papier.
Et puis une fois qu’il a été parti, je me suis retrouvée devant la copie de son AME et ma feuille de soins.
J’ai passé 30 minutes avec lui, j’ai fait mon taf, j’ai fait une vraie putain de consultation. Davantage, peut-être.
Je méritais mes putains de 22 euros, et je pouvais me les faire payer en disant à la sécu que j’avais fait, ce jour-là, une consultation pour un pakistanais né le 23 novembre 1978.

Qu’auriez-vous fait ?