Psychamnésie
17 janvier, 2009
Je suis toute jeune interne, dans mon tout pourri stage de rhumato.
Je vais voir une patiente qui vient d’arriver pour faire la première évaluation, la première observation du dossier.
Avec ce que j’ai en moi de passion pour les interrogatoires bien menés, avec ce que j’ai en moi de psycho-rigidité de fourmi autiste qui ne vit que pour les petites cases aux coins carrés, luisants et strictement superposables, avec ce que j’ai en moi de fierté et de soif que le monde entier soit irrévocablement au courant de ma perfection, et avec ce que j’ai en moi de haine contre ceux qui daignent atterrir parfois dans le monde des communs pour poser dans un coin du dossier leurs hiéroglyphes grandioses et parfaitement illisibles, donc inutilisables, donc potentiellement dangereux (x___8/i- @ /_ ___°//° –> Od£ signifiant « Allergie à la pénicilline –> Oedème de Quincke », par exemple), avec ce que j’ai en moi de tout ça, disais-je donc avec ce que j’ai en moi de tendresse amusée pour les phrases trop longues, je rédige l’observation parfaite.
Les différents paragraphes et sous-paragraphes sont clairement visibles (les titres des paragraphes sont écrits en majuscules et encadrés, les titres des sous-paragraphes sont en retrait et soulignés), les antécédents sont parfaitement renseignés, l’historique des différents traitements, des différents intervenants, l’histoire de la maladie, les signes négatifs, tout y est.
Dans l’ordre.
Avec les informations pertinentes mises en valeur et un résumé encadré à la fin pour ceux qui n’auraient pas le courage de tout lire.
(Et des fois, j’avoue, quand je me suis trompée (par exemple quand j’ai encadré un sous-titre au lieu de le souligner), je fais comme avec mes cahiers à l’école : je recopie tout plutôt que de m’autoriser une rature.)
(Je déconnais à moitié quand je parlais de psycho-rigidité… J »ai dû sérieusement travailler là-dessus…)
Parce que forcément, les gens trouvaient mes observ trop longues.
Personnellement, je reste convaincue que ce n’était pas du temps perdu, mais du temps investi. On lit l’essentiel si on veut l’essentiel, mais le jour où on cherche une info un peu accessoire qui est devenue importante, bam ! Elle est dans mon observ.
Mes co-internes en gériatrie me bénissaient quand je leur envoyais une patiente des urgences. Mode de vie, coordonnées du médecin traitant et des enfants, rien ne manquait. Je leur économisais une demi-matinée à chercher comment renvoyer la dame chez elle.
Mes co-internes me bénissaient quand ils me succédaient à une garde et qu’ils reprenaient mes dossiers. Non, le patient n’a PAS eu de rectorragies, non, il n’a PAS pris d’AINS, non, ce n’est pas la peine d’aller lui re-demander, je l’ai écrit. Je n’ai pas eu l’occasion souvent de bosser avec des plus-petits-que-moi, je n’ai presque jamais eu d’externes, mais quand j’en ai eus, je les bassinais avec l’importance des signes négatifs.
Les médecins que je remplace, qui, sans doute, me maudissent de temps à autres devant mes pavés, me béniront s’ils ont un jour un procès, quand on trouvera dans le dossier la liste méticuleuse des signes que j’ai cherché sans les trouver, et les raisons pour lesquelles je n’ai pas programmé d’examens complémentaires.
Une belle observ, un bel interrogatoire, parfois, c’est comme une belle démonstration de mathématiques.
Sachant que x, y, z, sachant que NON-p, NON-q, NON-r, la probabilité est forte pour que le diagnostic soit D.
Connaissant la VPP et la VPN de tel ou tel examen complémentaire, la probabilité pour que le diagnostic D soit retenu au sortir de l’examen E rend non pertinent la réalisation de l’examen P…
Bref, ça peut être beau.
Et c’est avec une fierté que je crois toute légitime que je vais ranger l’observ de Mme M. dans son ancien dossier.
Dossier pas si ancien que ça, en fait.
Elle a été hospitalisée chez nous il y a un petit mois, en fait.
Et dans le dossier, il y a une observ.
Avec des cadres, des majuscules et des titres soulignés.
Et oui, bien sûr, strictement les mêmes mots, dans strictement le même ordre.
Photocopie.
Au jeu des sept erreurs, vous n’en auriez trouvé que quatre ou cinq.
Ma psychorigidité a dû oublier de s’appliquer à ma case « mémoire ».
La dame a dû me prendre pour une folle.
17 janvier, 2009 à 18 h 48 min
Comme quoi les efforts que l’on fait pour aider les autres, on oublie souvent de les appliquer à soi même.
A ranger dans le répertoire « vécu », sous-répertoire « me-ferais-pas-avoir-deux-fois ».
PS: une phrase de onze lignes, chapeau!
17 janvier, 2009 à 19 h 41 min
J’étais pareil avec mes cours…
Un esprit ordonné, une réflexion ordonnée…
18 janvier, 2009 à 13 h 02 min
A chacun(es) ses petites cases et ses petites boîtes!
Petites belles très étroites
Petites boîtes faites en ticky-tacky
Petites boîtes, petites boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Y a des rouges, des violettes
Et des vertes très coquettes
Elles sont toutes faites en ticky-tacky
Elles sont toutes toutes pareilles
Et ces gens-là dans leurs boîtes
Vont tous à l’université
On les met tous dans des boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Y a des médecins, des dentistes
Des hommes d’affaires et des avocats
Ils sont tous tous faits de ticky-tacky
Ils sont tous tous tous pareils
Et ils boivent sec des martinis
Jouent au golf toute l’après-midi
Puis ils font des jolis enfants
Qui vont tous tous à l’école
Ces enfants partent en vacances
Puis s’en vont à l’université
On les met tous dans des boîtes
Et ils sortent tous pareils
Les garçons font du commerce
Et deviennent pères de famille
Ils bâtissent des nouvelles boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Puis ils règlent toutes leurs affaires
Et s’en vont dans des cimetières
Dans des boîtes faites en ticky-tacky
Qui sont toutes toutes pareilles
( Graeme Allwright )
18 janvier, 2009 à 14 h 17 min
« Petites belles très étroites » ??? ^^
C’est pour le concours de Google ?
18 janvier, 2009 à 14 h 52 min
« Mais oui mais oui, l’école est finie ! » (Sheila, période couettes)
18 janvier, 2009 à 15 h 45 min
Quand on est dans le dialogue,l’échange (dois-je dire la chaleur de l’échange ?) il est difficile de prendre des notes, parce que cela casse le rythme, et du coup certaines choses ne peuvent être dites par le patient, qui a trop l’impression d’être le machin sur lequel on enquête, bref le cobaye dont on essaie de comprendre la pathologie, mais pas lui, Mr ou Mme Dupond, dans son ineffable et digne singularité..(!)… Que faire ? Ecrire après ? Prévoir une partie de l’échange sans écriture ? C’est pour ma part ce que j’ai toujours fait, en sachant qu’un paramédical a beaucoup moins besoin d’informations (même s’il existe un examen kinésithérapique, ou infirmier, entre autre) qu’un médecin, et qu’il va forcément passer, au cours de ses différentes visites, plus de temps avec lui. Qu’en pensez-vous ?
18 janvier, 2009 à 16 h 27 min
je ne prends plus de notes depuis ma D3, depuis que je sais m’organiser dans ma tête en fait, et je retranscris tout après, le patient est + à l’aise je trouve, ça fait moins interrogatoire, davantage échange… mais ça m’arrive de redemander qqch la fois d’après si j’oublie une info, c’est cependant de + en + rare, heureusement… il n’y a que les coordonnees des médecins ou proches que je note, car va retenir un numéro de téléphone ou un code postal… ^^
18 janvier, 2009 à 19 h 06 min
Voilà Voilà.
Le niveau des médecins universitaires parisiens, je parle de ce que je connais, est déplorable. Ce sont des handicapés de l’entretien clinique et du raisonnement.
Comme il est difficile de s’inspirer de ce qu’on ne voit pas, on prend modèle sur ce qu’on a sous les yeux, et du coup, ba les étudiants en médecine, internes et autres praticiens ont un niveau de fonctionnement déplorable.
Evidemment les sus-visés universtaires n’acepteraient pas qu’on les qualifie ainsi, ni les malheureux étudiants et internes qui s’empresseraient de plaider en faveur des précédents, s’absolvant de ce fait.
Voilà l’Hópital Universitaire est peuplé de blaireaux mitonnant dans leur crasse nullité.
Mais surtout! Ne répétez pas que je vous ai dit ça !! La Faculté de Médecine Française est le fleuron de la Médecine !!! C’est ça que vous direz si on vous demande
19 janvier, 2009 à 11 h 40 min
@cardio de brousse : Weeds ! J’ai gagné!
(quoi je passe trop de temps devant les séries télé?!)
19 janvier, 2009 à 15 h 50 min
@ MG de Lande(s): obsédé textuel !
@ Monsieur J : j’en suis resté à » Dallaaaaaaas ( ton univers est pitoyaaaaableuuuu … ) »
22 janvier, 2009 à 0 h 01 min
Pour info Cardio de brousse petites boites est une adaptation française, l’original est de Malvina Reynolds.
Si tout le monde s’en fout, désolée de prendre de la place pour ça :D
22 janvier, 2009 à 0 h 46 min
@ eau-lily : merci de ces précisions ( je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours pensé que c’était Tom Paxton qui en était l’auteur )
22 janvier, 2009 à 13 h 02 min
On dirait que Cardio de brousse fait aussi des lapsus…
Transformer water-lily en eau-lily (au lit ?)à 1h du mat’…
22 janvier, 2009 à 15 h 56 min
MG de lande et Sigma vous voyez le mâle partout !
par les saintes couettes, Dieu me parfume que mes propos étaient z’innocents !
26 janvier, 2009 à 17 h 33 min
J’écris comme un porc et je le sais, aussi j’envoie rarement des documents professionnels non dactylographiés.
1 février, 2009 à 1 h 58 min
Je vous encourage de toutes mes tripes à continuer à vous appliquer. Je suis étudiant infirmier et lorsqu’on est évalué, on s’appuie sur le dossier du patient pour faire notre projet de soins. Il m’est souvent arrivé de passer plus de temps à déchiffrer les écritures des prescriptions et observations médicales qu’à faire mon projet de soins,et tout ça ça fait beaucoup de temps perdu!
Bravo pour le blog
19 octobre, 2010 à 20 h 39 min
[…] le dossier. En tirant la langue sur le côté quand je souligne mes titres et mes sous-titres. Je n’encadre pas encore en quatre couleurs (je réserve ça à mes fiches qui sont assurément les plus belles fiches d’internat du […]