La bonne foi (s'est penchée sur mon berceau)
18 juin, 2008
C’est rigolo comme tout, j’ai l’impression d’aller bien.
2/3 temps chez deux généralistes, 1/3 temps en soins palliatifs, et je vais bien.
Bon, bien sûr, j’ai un peu de mal à décrocher le soir, et, une fois rentrée chez moi, il me faut un petit bout de temps pour atterrir, mais rien que de très normal.
Non, vraiment, je vais bien.
Demandez-moi si c’est pas trop dur, les soins palliatifs, que je vous ris au nez. Ahah, non, ça va.
C’est bien, c’est passionnant, c’est beau, c’est la vie.
Je vous tiens sans broncher vingt minutes de discours philosophico-ésotérique pour vous expliquer que la mort, c’est la vie, et que ça peut être drôlement beau, et que l’accompagnement des gens est têêêêêêllement gratifiant avec tout ça d’accents circonflexes.
Non, vraiment, je gère.
En toute bonne foi.
Et puis au détour d’un mariage, d’un verre en trop et d’une contrariété, je me divise.
Meet Mister Hyde.
Je sors brutalement de mon corps, et je me vois éclater en sanglots absurdes, intarissables, comme ça, pour rien. Façon manga, avec les larmes qui partent vers le haut sans souci des lois pourtant bien établies de la pesanteur.
Stupeur.
Stupeur personnelle, j’entends.
Mais qu’est ce qui m’arrive ?? Tout va bien !
Et toujours flottante, toujours ailleurs, je m’entends parler et je me découvre.
« Alors elle m’a appelée, pour me dire, comme il peut plus parler avec son cancer, il lui écrit « Je veux mourir » sur des petits bouts de papier, alors elle sait plus quoi faire, alors elle m’a appelée. »
Et, tout autant que mon interlocuteur, tout autant que mon proche qui n’avait pas vu ça venir, je m’entends avec consternation.
Ah tiens, merde ?! (Me dis-je…) Mais qu’est ce qu’il vient faire là Monsieur Bidoche ? Je me dis ça, moi ? Ca m’a marquée à ce point ? Pourquoi ça m’a marquée comme ça alors que je ne m’en suis même pas rendu compte ??
Et du coup, je m’écoute.
La partie qui flotte jette un oeil analytique sur la partie qui pleure, et se dit que je ne vais probablement pas si bien que ça.
Avec deux verres en trop, c’est pire.
Je me tri-vise.
Meet la mère juive.
« Je suis fatiguééééééééééééée. Si tu savais comme je suis fatiguééééééééée…. »
La deuxième partie (celle qui flotte, pour ceux qui suivent), jouit de la délectation à le dire.
C’est tellement bon, ça fait tellement de bien.
A chaque « Je suis fatiguééééééée » qui sort, c’est un peu de légèreté qui revient.
Je le savoure, je le dis, je le redis, sur tous les tons, sous toutes les formes.
A chaque fois, ça va un peu mieux ; à chaque fois, je me sens un peu moins fatiguée.
La troisième partie flotte un peu plus haut encore, et s’en étonne.
Ah tiens merde, c’est rigolo, comme ça me fait du bien de dire que je suis fatiguée… Ptêt je devrais le dire plus souvent, si ça me fait du bien comme ça…
Et aujourd’hui encore, si vous me posez la question, je vais bien.
En toute bonne foi.
18 juin, 2008 à 10 h 41 min
Miss Hyde et la mère juive, tu m’as fait rire et ça sonne tellement vrai :-)
18 juin, 2008 à 11 h 24 min
trop géniales tes histoires !!!
18 juin, 2008 à 12 h 21 min
La médecine est une drogue, un toxique, une passion belle et dévastatrice. Marcher chaque jour au bord de la falaise des souffrances des autres. Trouver le juste équilibre entre l’absorption de ces souffrances et l’indigestion de ces douleurs. Être humain et proche, avoir de la compassion, et , pourquoi pas, avoir les larmes aux yeux pour pleurer avec son patient. Mais exister en tant qu’humain, avoir le droit de dire que là c’est trop, de penser à soi et surtout de prendre du temps pour soi. Ouvrir nos yeux sur le monde, et ne pas le voir uniquement par les yeux embués de autres.
Il m’est arrivé de pleurer avec un patient. C’est bon de se sentir fragile. (tiens petite enquête vis à vis des soignants lecteurs de ce blog, Il y en a à qui c’est arrivé ?) Et pourtant je n’ai pas l’impression d’avoir transgressé la « neutralité compatissante » de l' »alliance thérapeutique ».
J’aime m’asseoir au bord d’un lit, d’un malade, d’un vieux, d’un tétraplégique, d’un enfant pour lui prendre la main (à l’inverse du cours de sémio de P2 « ne jamais s’asseoir sur le lit, pas de proximité avec le patient », écrit noir sur blanc…)
Mais je suis aussi tombé du fil, fragile équilibriste. En toute bonne foi, tout va bien et puis en fait, non. On s’arrête, on change de rythme, on change de contexte et on s’effondre. On se rend compte que l’on peut passer à côté de sa vie de sa ville de sa femme de ses gosses de son fiancé de ses parents… Alors on recolle le tout, on se refait sa carapace de papier. On remet son stétho autour du cou comme une amulette, comme un bouclier et l’on repart sur la même route. Ou sur une autre. Avec cette cicatrice, cette fragilité, mais aussi ce recul et ce repos.
Tiens, je fais le même métier et pourtant je n’écoute plus de la même manière. Et j’ouvre aussi les yeux sur mes proches et mes envies.
C’est peut-être ça, le vrai compagnonnage en médecine. Pas celui que l’on vit comme vis à vis de son interne, puis de son chef de clinique, puis de son chef de service, puis de son maitre de stage…
Le compagnonnage des souffrances et des joies des personnes qui nous consultent.
Bon courage Rrr, et un grand merci pour tes écrits.
18 juin, 2008 à 14 h 04 min
j’adore ton site, je suis une fervente lectrice et j’attend avec impatience tes billets qui me font tant sourire…Mais pas cette fois…
un peu mal au coeur, ca me rapelle de mauvais souvenir. Et que te dire? gateau au chocolat, je vois que ca
bisous
18 juin, 2008 à 16 h 07 min
Salut, Rrrr, au détour d’une liste de site, je vous découvre et je partage tellement de ces moments !!! même si les miens ne sont pas orientés de la même façon (ah, les IDE, c’est plus ce que c’était !)
C’est vrai, la mort, la souffrance, la douleur, on les tutoie tous les jours, et on a appris à s’en faire des compagnons de route. On les regarde en face, on s’assoit, on discute, ou on tient juste la main. Pendant des années, j’étais fière de dire que je n’avais rien contre les accompagnements, que je les gérais même bien avec le patient, l’entourage… Et puis, pendant un mois, l’hécatombe, 1 décès par jour pendant 35 jours. Et graduellement, le sentiment d’être vide et de ne plus rien avoir à dire, ni à l’équipe, ni aux familles. Il aura fallu une réunion de service en urgence, beaucoup de temps, et finalement un changement de poste pour retrouver la qualité de cet accompagnement. C’est plus tard que j’ai réalisé la corrélation entre mon épuisement et cette liste sans fin de décès, ce qui arrive malheureusement souvent en série à l’hôpital. Aujourd’hui, je sais que même avec la meilleure formation, le meilleur soutien et la meilleure volonté, notre corps et notre esprit (et notre âme ?) ont un niveau de tolérance propre à la détresse des autres et qu’en effet, cela se manifeste souvent par des signes pas forcément clairs. Pour moi, ça a été une prise de poids et des insomnies calmes, moi qui a toujours été une grosse dormeuse.
Je suis tout à fait d’accord avec Guillaume, avant d’être médecin, infirmière ou pharmacien, nous sommes des êtres humains. Nos émotions nous rendent meilleurs et plus fort, car c’est grâce à elles qu’on peut écouter et comprendre. Il ne faut certes pas en être esclaves, ni les traiter de façon trop gnangnan (retrofeedback à toutes les sauces, « relations d’aide » mal appropriées…) Je me suis toujours méfier sur la notion de contrôle des émotions qu’on nous enseigne aussi en IFSi, et c’est l’expérience qui m’a appris qu’en fait, l’essentiel est de garder une partie de notre vie privée, d’essayer de ne pas ramener du travail à la maison, de faire s’imprégner les émotions sur notre blouse et de la laisser au vestiaire. Ce n’est pas une chose aisée, mais la vie est un long fleuve….
18 juin, 2008 à 20 h 57 min
bon courage Rrrr, j’aurais tellement aimé être là au détour d’un mariage ou d’un verre de trop pr t’épauler!!! ;)
18 juin, 2008 à 21 h 17 min
pas mieux que Perrine…
un petit tartare pour remonter le moral???
j’ai rien vu…désolée !!
18 juin, 2008 à 21 h 54 min
» faire s’imprégner les émotions sur notre blouse et de la laisser au vestiaire »
merci deedee
19 juin, 2008 à 14 h 47 min
J’adore lire tes réflexions, elles me font penser à l’époque où je faisais des remplacements, celle où je n’avais pas encore les patients fidèles, le cabinet, la ribambelle d’enfants, le mari et la sécu etc…
Heureusement que tu passes par ces périodes de fatigue et de doute: c’est que tu es très certainement un super médecin.
J’ai déjà quinze ans d’installation (c’était hier), et j’ai eu a tenu souvent la main, à soutenir souvent les familles et, moi aussi j’ai pleuré avec des patients à plusieurs reprises.
Il y a quelques jours, j’ai écrit un truc pour moi, ça m’a fait du bien… Je te le livre:
« Burn out » ils appellent ça dans les journaux médicaux et dans les médias. Ça veut dire quoi ? « Raz le bol » de tout ? Des patients, des taches administratives, des maladies, du manque de respect des gens pour notre métier et pour notre personne, de la sécu, des batailles avec eux et avec elle, des frustrations au travail, de l’incompétence, la sienne et celle des autres. Raz le bol des retardataires, de ceux qui viennent pas ou qui viennent à trois pour un créneau de rendez vous d’un quart d’heure, de ceux qui viennent avec une « liste de courses » ou une page de maux divers et variés… faudrait surtout pas en oublier un !
Alors on prend la liste et on l’épluche à la place du « client » qui vient faire son marché…
« Pourquoi donc vous voulez du « Zovirax » en sirop pour enfant ??? »
« C’est ma fille qui en veut pour son bébé ! »
Ben voyons, c’est une évidence, si c’est sa fille qui en veut !
« Oui, je comprends, mais pourquoi elle en veut votre fille, il a quel âge son bébé ? Il fait de l’herpes ? »
« Je sais pas, elle en veut c’est tout… Je crois que c’est au cas où il aurait la varicelle… sa voisine en a eu pour le sien et ça a fait partir les boutons en moins d’une semaine… »
« Mais madame, on ne donne pas du Zovirax pour la varicelle vous savez ! En plus les boutons partent d’eux même en cinq jours sans traitement ! »
« Mais c’est ma fille qui… »
« Dites à votre fille que je ne donne pas ça pour la varicelle, surtout qu’il n’y a pas de varicelle et surtout que je ne connais pas cet enfant, ni votre fille d’ailleurs… »
Et on passe à la deuxième ligne de la liste puis aux autres en argumentant à chaque fois le « pourquoi » et le « comment », en acceptant quand même de mettre le paracétamol (on bataille pour le faire accepter à la place de la fameuse boite jaune) à cause du « c’est quand j’ai mal à la tête ou au dos, ou aux genoux docteur » et la boite de Stilnox pour le « c’est quand j’ai passé deux nuits sans dormir de suite docteur et que ça peut pas continuer encore une nuit de plus, faut que je me lève le matin quand même ! »
Bien sûr on finit par écrire deux ou trois trucs, on fait l’ordonnance de kiné parce qu’ils ont un peu mal au dos ou au cou… Moi aussi j’ai mal au dos ! Mais je ne fais pas de kiné ! Pas le temps…
Des fois je leur dis…
« Moi aussi j’ai les pieds qui gonflent, regardez ça dans mes chaussures ! Moi aussi j’ai des varices ! Moi aussi je pers mes cheveux… Moi aussi je vieillis… Si j’avais le traitement miracle je le saurais, je vous le donnerais, promis ! »
En général ça les calme…
Avec Yves, les chieuses comme ça, on les a repérées. On essaie réellement d’être assez désagréable pour qu’elles ne reviennent pas trop souvent. Le midi, quand on déjeune, on compare la liste de nos rendez-vous et on y va des « Ah non, pas elle » ou des « Merde, untel et après unetelle… dur… » On les voit quand même et, en général on arrive à être gentils et patients avec eux, compréhensifs et amicaux. On écoute et on rassure, on tente de convaincre. Le « Burn Out » c’est quand on n’y arrive plus.
Quand je les fais rentrer dans mon cabinet en commençant par les engueuler fort, surtout si la salle d’attente est pleine, exprès pour que tout le monde en profite :
« Vous n’êtes pas venu la dernière fois ! Ne refaites pas ça, surtout le samedi matin ! Il y a plein de patients qui n’arrivent pas à avoir de rendez vous, alors si vous ne pouvez pas venir, la moindre des choses c’est de prévenir suffisamment de temps avant ! »
« Vous avez quinze minutes de retard ! Ça fait un quart d’heure que je me tourne les pouces en vous attendant ! Maintenant, c’est moi qui vais être en retard à cause de vous ! »
« Vous avez été très désagréable avec le secrétariat ! Sachez que les secrétaires respectent nos consignes, elles ne peuvent pas donner de rendez vous quand tout est déjà pris ! Ce n’est pas la peine de les engueuler. Laissez un message et vous savez bien que je rappelle toujours ! »
« Vous avez demandé à plusieurs reprises que je vous rappelle mais vous ne répondez pas à votre téléphone ! Je ne peux pas vous appeler toutes les dix minutes en attendant que vous soyez chez vous ! »
« J’ai là les certificats que vous m’avez demandé le mois dernier en urgence et aussi votre ordonnance de dépannage depuis trois semaines. Ils attendent encore sur mon bureau ! Vous vouliez que je vous les poste ? Il fallait me le dire avec une enveloppe timbrée alors ! »
Et je les fais rentrer en disant :
« Bon, maintenant que je vous ai disputé, on passe à autre chose ».
Je respire un bon coup, j’essaie de me calmer et je dis :
« Installez vous… Qu’est ce qui vous amène, comment allez vous ? »
Je sais que je me taille une réputation de râleuse mais ce n’est pas grave. Ceux qui ne sont pas contents changent de médecin ! C’est aussi ça le « Burn Out » ?
Mais on est bien conscient que le risque c’est aussi de passer à côté de la vraie pathologie. Alors, même si on a bien repéré les fatigués de naissance, si on sait bien s’inquiéter pour ceux qui n’ont pas l’habitude de flancher, on ne doit pas rater les ramollis chroniques qui vont vraiment mal. Ça arrive parfois, même si c’est exceptionnel. Attention aux réponses toutes faites :
« Non ce n’est pas nécessaire, je ne vous demanderai pas de nouvelle prise de sang, tout était normal l’année dernière »
Et louper l’insuffisance thyroïdienne, le cancer de la prostate ou du sein qui fatigue, le diabète qui pointe, le cœur qui flanche, la vraie dépression qui tue. On s’aperçoit qu’on passe les deux tiers de notre temps à écouter et à rassurer des malades imaginaires, un petit tiers à soigner les vrais et finalement trop peu de temps à réfléchir.
Et on est fatigués à notre tour quand on rentre le soir. On est fatigués aussi quand on se lève, et quand on part le matin, et quand on déjeune le midi… On se traite de nouille stupide quand on refait la NFS, la TSH et le Fer sérique pour la troisième fois en cinq ans et que tout est parfaitement normal…
On râle aussi quand on arrive à la maison. Les chaussures des enfants traînent encore devant la porte d’entrée, ça pue la litière des chats, les couteaux pleins de nutella et de beurre souillent le bar, la table du midi n’est pas débarrassée, le lave vaisselle plein n’a pas été vidé de la veille et la vaisselle sale n’est même pas dans l’évier, le linge qu’on a lavé est encore dans le couloir… Ça énerve un peu plus. On range, on lave, on trie, on plie. On trépigne et on râle encore, on crie.
On est de mauvaise humeur et les enfants fuient. On se trouve mauvais : mauvais médecin, mauvaise mère. On n’a pas envie de parler aux amis, même les plus chers sur MSN et on est encore mauvais. On n’a pas envie de faire l’amour et on est mauvaise épouse et mauvaise amante. Mauvaise en tout.
C’est surtout ça le « Burn Out ».
Burn Out
« Burn out » ils appellent ça dans les journaux médicaux et dans les médias. Ça veut dire quoi ? « Raz le bol » de tout ? Des patients, des taches administratives, des maladies, du manque de respect des gens pour notre métier et pour notre personne, de la sécu, des batailles avec eux et avec elle, des frustrations au travail, de l’incompétence, la sienne et celle des autres. Raz le bol des retardataires, de ceux qui viennent pas ou qui viennent à trois pour un créneau de rendez vous d’un quart d’heure, de ceux qui viennent avec une « liste de courses » ou une page de maux divers et variés… faudrait surtout pas en oublier un !
Alors on prend la liste et on l’épluche à la place du « client » qui vient faire son marché…
« Pourquoi donc vous voulez du « Zovirax » en sirop pour enfant ??? »
« C’est ma fille qui en veut pour son bébé ! »
Ben voyons, c’est une évidence, si c’est sa fille qui en veut !
« Oui, je comprends, mais pourquoi elle en veut votre fille, il a quel âge son bébé ? Il fait de l’herpes ? »
« Je sais pas, elle en veut c’est tout… Je crois que c’est au cas où il aurait la varicelle… sa voisine en a eu pour le sien et ça a fait partir les boutons en moins d’une semaine… »
« Mais madame, on ne donne pas du Zovirax pour la varicelle vous savez ! En plus les boutons partent d’eux même en cinq jours sans traitement ! »
« Mais c’est ma fille qui… »
« Dites à votre fille que je ne donne pas ça pour la varicelle, surtout qu’il n’y a pas de varicelle et surtout que je ne connais pas cet enfant, ni votre fille d’ailleurs… »
Et on passe à la deuxième ligne de la liste puis aux autres en argumentant à chaque fois le « pourquoi » et le « comment », en acceptant quand même de mettre le paracétamol (on bataille pour le faire accepter à la place de la fameuse boite jaune) à cause du « c’est quand j’ai mal à la tête ou au dos, ou aux genoux docteur » et la boite de Stilnox pour le « c’est quand j’ai passé deux nuits sans dormir de suite docteur et que ça peut pas continuer encore une nuit de plus, faut que je me lève le matin quand même ! »
Bien sûr on finit par écrire deux ou trois trucs, on fait l’ordonnance de kiné parce qu’ils ont un peu mal au dos ou au cou… Moi aussi j’ai mal au dos ! Mais je ne fais pas de kiné ! Pas le temps…
Des fois je leur dis…
« Moi aussi j’ai les pieds qui gonflent, regardez ça dans mes chaussures ! Moi aussi j’ai des varices ! Moi aussi je pers mes cheveux… Moi aussi je vieillis… Si j’avais le traitement miracle je le saurais, je vous le donnerais, promis ! »
En général ça les calme…
Avec Yves, les chieuses comme ça, on les a repérées. On essaie réellement d’être assez désagréable pour qu’elles ne reviennent pas trop souvent. Le midi, quand on déjeune, on compare la liste de nos rendez-vous et on y va des « Ah non, pas elle » ou des « Merde, untel et après unetelle… dur… » On les voit quand même et, en général on arrive à être gentils et patients avec eux, compréhensifs et amicaux. On écoute et on rassure, on tente de convaincre. Le « Burn Out » c’est quand on n’y arrive plus.
Quand je les fais rentrer dans mon cabinet en commençant par les engueuler fort, surtout si la salle d’attente est pleine, exprès pour que tout le monde en profite :
« Vous n’êtes pas venu la dernière fois ! Ne refaites pas ça, surtout le samedi matin ! Il y a plein de patients qui n’arrivent pas à avoir de rendez vous, alors si vous ne pouvez pas venir, la moindre des choses c’est de prévenir suffisamment de temps avant ! »
« Vous avez quinze minutes de retard ! Ça fait un quart d’heure que je me tourne les pouces en vous attendant ! Maintenant, c’est moi qui vais être en retard à cause de vous ! »
« Vous avez été très désagréable avec le secrétariat ! Sachez que les secrétaires respectent nos consignes, elles ne peuvent pas donner de rendez vous quand tout est déjà pris ! Ce n’est pas la peine de les engueuler. Laissez un message et vous savez bien que je rappelle toujours ! »
« Vous avez demandé à plusieurs reprises que je vous rappelle mais vous ne répondez pas à votre téléphone ! Je ne peux pas vous appeler toutes les dix minutes en attendant que vous soyez chez vous ! »
« J’ai là les certificats que vous m’avez demandé le mois dernier en urgence et aussi votre ordonnance de dépannage depuis trois semaines. Ils attendent encore sur mon bureau ! Vous vouliez que je vous les poste ? Il fallait me le dire avec une enveloppe timbrée alors ! »
Et je les fais rentrer en disant :
« Bon, maintenant que je vous ai disputé, on passe à autre chose ».
Je respire un bon coup, j’essaie de me calmer et je dis :
« Installez vous… Qu’est ce qui vous amène, comment allez vous ? »
Je sais que je me taille une réputation de râleuse mais ce n’est pas grave. Ceux qui ne sont pas contents changent de médecin ! C’est aussi ça le « Burn Out » ?
Mais on est bien conscient que le risque c’est aussi de passer à côté de la vraie pathologie. Alors, même si on a bien repéré les fatigués de naissance, si on sait bien s’inquiéter pour ceux qui n’ont pas l’habitude de flancher, on ne doit pas rater les ramollis chroniques qui vont vraiment mal. Ça arrive parfois, même si c’est exceptionnel. Attention aux réponses toutes faites :
« Non ce n’est pas nécessaire, je ne vous demanderai pas de nouvelle prise de sang, tout était normal l’année dernière »
Et louper l’insuffisance thyroïdienne, le cancer de la prostate ou du sein qui fatigue, le diabète qui pointe, le cœur qui flanche, la vraie dépression qui tue. On s’aperçoit qu’on passe les deux tiers de notre temps à écouter et à rassurer des malades imaginaires, un petit tiers à soigner les vrais et finalement trop peu de temps à réfléchir.
Et on est fatigués à notre tour quand on rentre le soir. On est fatigués aussi quand on se lève, et quand on part le matin, et quand on déjeune le midi… On se traite de nouille stupide quand on refait la NFS, la TSH et le Fer sérique pour la troisième fois en cinq ans et que tout est parfaitement normal…
On râle aussi quand on arrive à la maison. Les chaussures des enfants traînent encore devant la porte d’entrée, ça pue la litière des chats, les couteaux pleins de nutella et de beurre souillent le bar, la table du midi n’est pas débarrassée, le lave vaisselle plein n’a pas été vidé de la veille et la vaisselle sale n’est même pas dans l’évier, le linge qu’on a lavé est encore dans le couloir… Ça énerve un peu plus. On range, on lave, on trie, on plie. On trépigne et on râle encore, on crie.
On est de mauvaise humeur et les enfants fuient. On se trouve mauvais : mauvais médecin, mauvaise mère. On n’a pas envie de parler aux amis, même les plus chers sur MSN et on est encore mauvais. On n’a plus envie de calins et on est mauvaise épouse. Mauvaise en tout.
C’est surtout ça le « Burn Out ».
19 juin, 2008 à 19 h 42 min
c’est amusant (hum), je viens de commencer mon stage en cancérologie. On a un super centre à caen, et je suis vraiment ravie d’avoir obtenu mon stage… (surtout que je veux faire cancéro).
Mardi après-midi, on a eu un topo des différents cours qu’on aurait pendant le stage et du déroulement du stage en général…
Je m’entends encore, en « réponse » au titre d’un des cours (prévenir le burn-out) : « c’est quoi le burn out ? »
Je veux travailler dans les soins palliatifs. En mi-temps ou tiers-temps, comme toi, oncologue ou medecin gé le reste du temps… J’ai fait un stage en soins palliatifs en été dernier.
Et je m’étonne, à chaque fois que je donne mon objectif professionnel, qu’on me fasse de grands yeux à la fois choqués, presque admiratifs de mon courage, ou de toutes façons très étonnés : « bah dis-donc, ça va être difficile ! », »tu es sûre de toi ? c’est dur comme boulot ! »…
De ma toute petite hauteur d’externe, j’en ai eu, des patients terminaux, des morts inattendus, des entretiens familiaux difficiles… Et pourtant en effet, je vais bien.
Pas plus tard qu’aujourd’hui, on a annoncé à une femme plus que dynamique, qui vient toute joyeuse et sourire au lèvre obéir à Mathilde (la campagne de dépistage du cancer du sein) comme tous les deux ans, qu’elle a une masse suspecte, qu’il faut la biopsier de suite (ce qu’on a fait) et qu’elle sera opérée ensuite pour la retirer, quoi que disent les résultats de la biopsie. Et j’ai pas été plus choquée que ça…
Et je sais, au fond, que c’est pas forcément vrai. Qu’un jour comme toi, je me rendrai compte que ça me touche…
Mais j’aime le reste, alors je suppose que ces émotions ne nous rendront que plus forts et meilleurs médecins, non ?
19 juin, 2008 à 23 h 26 min
Ton article m’a vraiment fait rire également. Tu as vraiment du courage pour faire ce métier, je ne pourrai même pas le faire sous antidépresseurs; bonne continuation :)
20 juin, 2008 à 10 h 54 min
Au fur et à mesure, on croit qu’on prend l’habitude, qu’on sait à quoi s’attendre devant ses familles qui vivent la fin d’un proche, on se rappelle des fins de vie qui se sont passées dans la sérénité et des gens qui sont revenus après pour vous remercier, pour se persuader qu’on a fait du bon boulot.
Mais finalement, c’est toujours aussi dur. Mon premier stage d’internat, je l’ai passé dans un service de cancéro dans un hôpital périphérique. Quand les chefs étaient en consultation l’après midi, on était en première ligne pour expliquer aux gens l’arrêt des traitements, l’évolution des symptômes. On n’avait pas eu de cours pour ça à la fac.
Après 2 ans de DU de soins palliatifs, je n’ai toujours pas de solution miracle. Sauf peut être le blog, ça fait du bien de poser ses valises de temps en temps.
Et quand c’est écrit par la dRrresseuse, c’est toujours aussi agréable à lire…
20 juin, 2008 à 15 h 06 min
merci à Pascale Bellut pour cette description presque (doublement) exhaustive du burn out feminin
21 juin, 2008 à 11 h 22 min
pour moi, rrr est pas burnoutée, juste de la compassion. Avec le cancer, on peut soit se fermer et se blinder (moi jsui fort, moi jsui fort moi jsui fort!)et on devient une espèce de robot. Les se(r)vices de cancéro en produisent beaucoup, de ces spécialistes de la statistique à la con: ‘madame, vous avez une cancer du machin gauche. Vos chances de survie à 3 ans sont de 18,75% ouala ouala.’ Ils font le même effet au patient qu’un croque mort.
Ou alors on accepte de voir en face de soi non pas un cas, un bidule statistique, mais un patient, qui a une vie, une famille, un affect, de la souffrance, et alors ça devient naturel de souffrir un peu aussi soi même, ce n’est pas une maladie, ce n’est pas de la faiblesse, au contraire, c’est juste de l’humanité, qui rencontre une autre humanité qui en chie. Comme le gars en panne sur le bord de la route. On a le choix de s’arrêter, ou de passer comme si on n’avait rien vu…
21 juin, 2008 à 11 h 54 min
De toute manière, ses chances de voir passer un dépanneur devant lui sont de 18,75 % à 3 heures, pourcentage non-nul. On peut très bien ne pas s’arrêter, la conscience tranquille (moi jsui fort, moi jsui fort moi jsui fort!)
Merci yangounet :-)
22 juin, 2008 à 21 h 38 min
@Pascale Bellut
Chère collègue, votre message m’a touché. Nous sommes intallés en couple, un temps plein à deux sur le même cabinet pour que l’un des deux soit toujours disponible pour s’occuper des 4 enfants qui ne vont pas à l’école (choix de qualité de vie : pas de stress, de devoir, de conflits, d’enfants fatigués le soir mais aussi ambitieux : bien meilleur niveau ainsi obtenu que dans une classe de 20 ou 25…), le tout dans la bonne humeur et la tendresse. Quand aux patients chiants, on les vire au fur et à mesure. Et on trouve toujours le temps pour un calin… Si vous avez envie de m’envoyer un mail, ou à ma femme, je le ferais suivre. Alors haut les coeurs et gardez le sourire ;)
22 juin, 2008 à 22 h 07 min
Merci à Radéchant pour son gentil message.
Heureusement, les périodes de fatigue et de stress ne durent pas trop longtemps…
Appartenir à un groupe de Pair avec des amis, participer aussi à des formations et même en animer, partager les « coups de gueule », les moments de doute et la fatigue avec son associé, écrire un « blog-personnel-pour-moi-toute-seule », lire avec plaisir celui des autres comme « Jaddo » et bien sûr… partir bientôt en vacances… et ça va déjà beaucoup mieux.
Alors, oui! On garde le sourire!
23 juin, 2008 à 1 h 39 min
Attention au pathos … Té, ça me rappelle un pote qui lisait le Bardo-Thodol en soins palliatifs :-)
25 juin, 2008 à 18 h 24 min
re bonjour; eh oui le »burn out » des docteurs, ça existe et pas qu’un peu: deux fois plus de suicides chez les médecins que dans la population générale, c’est pas rien! c’est donc si dangeureux que ça de guérir les autres ( ou tenter de ) ?
c’est insidieux,sournois et inatendu; Guillaume et Pascale le décrivent bien; il y a certes une vie en dehors de la médecine , et heureusement encore!, mais parfois,au décours d’un souci ou plus, d’un drame personnel, le filtre necessaire à notre protection devient poreux et cette masse des douleurs d’autrui vous revient en plein visage et vous entame plus que de raison , plus qu’on ne le croyait; et la blague éculé de potache carabin n’est alors vraiment plus d’actualité ( mais si! vous savez , celle de la différence entre Dieu et un …cardiologue ? ou bobologue de tous genre, on peut remplacer par ce qu’on veut- : …Dieu ne se prend pas pour un cardiologue lui ! ) il faut avoir mis un jour genou à terre pour comprendre, in vivo, que l’on travaille aussi avec son humanité et qu’elle ne reste pas au vestiaire, une fois la blouse endossé.Nos chères études médicales ne nous ont guère préparer à cela, n’est-ce-pas ? pas de »débriefing » collectifs, et que dire de la contrainte psychologique de l’exercice solitaire des généralistes ?
bon! tout ça n’est pas trés gaie, je promets de faire un commentaire plus léger la prochaine fois.
Tiens ! au fait, ça fait bien 10 ans que je travaille sans blouse à mon cabinet ( et sans cravate ! )- c’est que j’ai du me rendre compte que ma blouse était une piètre armure !
25 juin, 2008 à 18 h 25 min
je lis tes billets entre deux patients généralement , c’est une bouffée d’air ,merçi
Ne t’inquiete pas tu es déja un trés bon médecin ,tu te préoccupes des gens , c’est une grande qualité pas toujours partagée ds le milieu médical
Tes patients ont de la chance
un médecin pas encore trop blasé…
28 juin, 2008 à 16 h 19 min
C’est vrai, pas facile tout ça…
Personnellement, quand on me demande comment ça va, je réponds toujours oui, jusqu’à ce que je craque, pareil, lors d’un moment inopiné…
30 juin, 2008 à 20 h 55 min
Bon…
Juste pour dire que des fois, quand je réponds pas aux commentaires, ce n’est pas parce que ça ne me parle pas, c’est parce que ça me parle trop.
Mais je me fends quand même d’un grand merci à Pascale pour son si beau texte.
Et d’un merci général aux autres pour tout le reste.
15 octobre, 2014 à 13 h 38 min
Moi je suis éduc spé. Et ce que madame Jaddo elle dit, je le vis aussi.
Ça va, franchement ça va. J’aime mon métier, je m’efforce de le faire aussi bien que possible, ça me plait. J’aime mon métier et j’ai pas l’impression que ce soit dur.
Mais par fois, je pleure, je me regarde pleurer et je suis fatiguée et ça soulage de dire jesuisfatiguééééée.