Si j'aurais su…
4 juin, 2008
Aujourd’hui, j’ai envoyé une femme aux urgences qui ne méritait probablement pas d’y aller.
Pardon à elle, qui va poireauter 6h dans une salle d’attente glauque pour s’entendre dire que ce n’est rien. Ca s’trouve, elle y est encore.
Pardon à mes collègues urgentistes, que j’entends d’ici soupirer devant ma lettre.
Je l’ai fait aussi. Lire une lettre, soupirer, ricaner, faire tourner.
« Non mais regarde un peu, franchement, y a des généralistes, jte jure…. »
Il m’a manqué cinq minutes.
Cinq minutes après qu’elle soit partie, la tête au calme, les connaissances et les souvenirs qui reviennent, j’ai su ce que j’aurais dû faire, j’ai su ce que j’aurais dû dire.
Sur le coup, j’ai hésité, j’ai réfléchi, mais elle était là, devant moi, à attendre mon verdict, à regarder mes sourcils qui se fronçaient, et c’est une chouille difficile de dire en pleine consultation « Attendez, taisez-vous, je me concentre, je réfléchis pour savoir s’il faut vous envoyer aux urgences ou non ».
Je serais sortie de la salle cinq minutes, je me serais posée, j’aurais su.
Ces cinq minutes-là, on les a à l’hôpital. On s’excuse, on part, on reviendra, on va ouvrir un bouquin ou internet, ou on va juste se mettre la tête au calme.
Dans le cabinet, face au patient, on ne les a pas.
On sait ou on ne sait pas.
Quand on sait qu’on ne sait pas assez, on imagine le pire.
Bon, ça a vraiment pas l’air, j’y crois pas, mais si c’était une arthrite septique ?
Le premier qui dit « Je suis sceptique (mouahaha)« s’en prend une.
Moi aussi, j’étais sceptique.
Mais il m’a manqué cinq minutes.
5 juin, 2008 à 1 h 05 min
Il vaut mieux ça que l’inverse.
Ma femme a failli y passer (péritonite très grave) parce que les différents médecins qu’elle a vu ont mis plusieurs jours à l’envoyer à l’hosto (bizarre cette gastro qui dure…).
Dans le doute… ne vous abstenez pas. Je ne remercierai jamais assez le troisième médecin qui a fini par lui dire d’aller aux urgences.
5 juin, 2008 à 11 h 05 min
urk ! urk !
moi aussi j’ai ricané devant les lettres des généralistes, et moi aussi j’ai déchanté quand je me suis rendue compte qu’il n’y a rien de plus difficile que ce face à face avec le patient et mon incertitude.
On n’envoie jamais pour rien aux urgences, on a été inquiet et voilà, tant pis pour l’attente et les ricanements des autres !
Bon courage et bonne continuation !
5 juin, 2008 à 11 h 19 min
Donc dans ton futur cabinet, tu t’aménages une pièce attenante où tu iras sous prétexte d’aller chercher je-ne-sais quel instrument d’examen (qu’il faut longuement préparer bien sûr)
5 juin, 2008 à 15 h 55 min
Et c’était quoi ?
5 juin, 2008 à 17 h 18 min
goutte ?
moi, j’ai déjà fait le coup aux urgences (enfin je suppose, je n’ai jamais eu le fin mot de l’histoire !)
5 juin, 2008 à 18 h 04 min
Pas mal le coup de la pièce à coté, je prends note.
Parce que la pression face au malade, le doute, les grands yeux et l’attente, et le silence qui remplit toute la pièce… je m’y vois déjà.
Gloups…
5 juin, 2008 à 18 h 13 min
En tout cas, tout est mieux que le regard fuyant la confrontation pour se perdre dans l’écran de l’ordinateur…
5 juin, 2008 à 19 h 29 min
moi ma toubib elle hésite pas
elle me dit : « attendez je reprends » (elle liste les symptomes que je lui décris)
elle m’osculte
je me rhabhille, elle réfléchit aux différentes situations (à voix haute)
elle regarde ses bouquins si besoin
puis elle finit par m’expliquer les choses
ça peut paraitre bizarre la première fois mains maintenant je sais qu’elle est comme ça…
c’est peut être une façon de faire, à adapter…
en même temps c’est pas désagréable pour le patient parce qu’on a le sentiment qu’elle nous considère et qu’elle veut vraiment bien faire !!
5 juin, 2008 à 21 h 24 min
Quand tu doutes, que tu ouvres en grand le Vidal, le Dorosz, ton petit vieux carnet que tu as eu dans ta poche de blouse durant tous tes stages ou un gros manuel de thérapeutique, et que tu dis avec un grand sourire « un jour je saurai tout par cœur ! », en général ça déride les situations les plus complexes !
5 juin, 2008 à 22 h 31 min
> Twin : Il faut aussi garder en tête que le troisième avait pour lui l’expérience du temps, de l’évolution de la maladie et des deux premières consultation. Il aurait peut-être fait pareil que les deux premiers s’il avait été à leur place dans la chronologie consultatoire, et les deux autres auraient peut-être fail pareil à sa place… Heureuse que tout se soit bien fini en tout cas :)
> Doclili : c’est ce que je me suis dit, tant pis ! Je n’aurai probablement pas fait la même chose avec 5 ans de plus, mais disons qu’en l’occurence, mieux vaut sans doute pêcher par excès que par défaut… J’apprendrai :)
> ProfAnonyme et Guillaume et Cafgirl : déjà essayé le coup de la pièce d’à côté et du prétexte fallacieux :) C’est vrai que ça aide. Mais on est quand même moins efficace dans la réflexion (ohmondieujesaispasjesaispasjesaispas, elle m’attend à côté, ouhlala ça fait 5 minutes que je suis partie) que la tête VRAIMENT à plat.
Sinon, j’aime beaucoup aussi la technique ouverte et franche de Cafgirl et de Guillaume. Mais là, dans cet exemple là, un bouquin ne m’aurait pas vraiment aidé. Je connaissais les bases théoriques, mais j’ai pataugé dedans… J’ai expliqué mon hésitation, mais au final, j’ai pris la mauvaise décision.
> PoisonIvy et Doclili : ouais, goutte, probablement, ou poussée d’arthrose. Mais elle n’avait pas supporté le colchimax, donc pas de test thérapeutique… En tout cas, j’aurais franchement pu nous laisser quelques jours d’observation supplémentaire, y avait franchement rien de tangible pour l’arthrite.
Enfin bon. Je ne l’ai pas tué en l’envoyant aux urgences.
Et je ne me suis pas tuée non plus, il paraît que le ridicule ne tue pas.
Mais il rend ridicule ;)
5 juin, 2008 à 22 h 32 min
+s à consultations, tiens.
La flemme de tout ré-écrire.
6 juin, 2008 à 9 h 03 min
Question très conne : est-ce concevable de rappeler le patient (en admettant que vous ayez un numéro de portable) pour lui dire « finalement non » ? Ou « j’ai consulté mon référent arthritologue qui me dit que c’est OK » si ça passe mieux ;-)
6 juin, 2008 à 13 h 05 min
Même en tant qu’humble vétérinaire, j’ai connu des situations comparables, raison pour laquelle je me permet de donner mon avis… Nul ne peut tout savoir et il nous arrive à tous d’avoir un trou…. Ou de ne pas avoir, face à un patient, la possibilité de faire un diagnostic. Peut-être un jour sauveras-tu quelqu’un en l’ayant envoyé aux urgences sans autres raisons qu’une incertitude ou même ton instinct.
Amicalement
6 juin, 2008 à 14 h 14 min
Perso franchement ça ne me gène pas du tout de chercher dans une base de donnée sur mon Mac ou en ligne, au nez et à la barbe du patient. du genre « mince les anticorps anti-SSA c’est plutot evocateur d’un lupus ou d’un sjogren » interrogation Ô combien angoissante il faut bien le reconnaitre.
L’ecran de mon Mac est à ma droite incliné a 45 degré dans ma direction, mais selon que le patient s’installe sur la chaise de gauche ou de droite il a la possibilité de voir ou pas ce que je bidouille, ça donne déjà une idée de son implication dans la prise de décision :-) Et … s’il chosit la chaise de droite, hé hé, je relève mon courrier quand les questions therapeutiques et diagnostiques sont réglées (anamnèse improductive, rhabillage, pour me detendre comme ça)
6 juin, 2008 à 18 h 16 min
Je me permets juste : on dit « si j’avais su ».
Sinon, je lis votre blog régulièrement, et j’adore.
6 juin, 2008 à 19 h 56 min
mé cé fé exeupré !
Jaddo èle parle tro bien la fransse, cé poure nou fére rire !
6 juin, 2008 à 22 h 07 min
Ah pardon alors ! Autant pour moi ! ;o)
6 juin, 2008 à 23 h 37 min
Putain jaddo on kifffffffffffeeeeeee continue a nous raconter des histoires !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
6 juin, 2008 à 23 h 58 min
Je sais, ça n’a sans doute rien à voir…
Mais ça me rappelle l’an dernier, l’exam oral d’hépato-gastro, aux rattrapages de septembre…
Je crois que pire, ça n’aurait pas été possible, alors que je savais mon cours… Et à la toute fin, quand ils ont dépensé tous leurs soupirs et leurs regards pseudo-compatissants qui te font te sentir encore plus mal, ils m’ont lancé une question de « rattrapage de rattrapage »…
Ce que c’est que l’endobrachyoesophage ?
« Oui je sais c’est une lésion pré-cancéreuse, une métaplasie gastrique de la muqueuse oesophagienne par agressions à type de reflux. C’est le stade avant l’adénocarcinome de l’oesophage. »
… « Bien. une métaplasie malpighienne ou glandulaire ? »
J’avais dit métaplasie gastrique, j’avais dit adénocarcinome. Ils ont voulu que je le dise d’une troisième manière…
Grosse suée, les yeux des examinateurs qui me vrillent, gros gros coup de stress…
« malpighienne »
je le savais, au moment même où ça franchissait mes lèvre bien sûr… Et avant aussi.
Je repasse l’hépato-gastro cette année…
Je te comprends, Rrr, les oraux, c’est jamais facile… Et ton boulot, c’est un oral de tous les jours…
7 juin, 2008 à 3 h 01 min
la grande difficulté de l’exercice seul de la médecine face au « confort » de la spécialité urgentiste: la décision-seul- face au patient!
Obligation de moyen dc pas d’abstention… (surtout que la réflexion supplémentaire de 5 minutes est souvent absente -aussi- aux urgences…)
ta patiente te sera peut-etre reconnaissante d’avoir douter pour elle..
Douter c’est indispensable.
bises
7 juin, 2008 à 10 h 59 min
Même après plus de 30 ans de médecine rurale on se pose encore ce genre de question, l’exercice de la médecine c’est le doute (mais bon pas 24h/24 qd même),c’est qd on ne doute plus qu’on devient dangeureux.En fait aux Urgences ils se marrent à plusieurs en lisant nos lettres, et nous on se marre tout seul en lisant les leurs , c’est la seule différence. De toute façon, avec toutes les questions que tu te poses tu ne pourra jamais être « mauvais médecin » , c’est tout bon.
10 juin, 2008 à 10 h 58 min
moi aussi, je suis tjrs en ligne, et ça me dérange pas de lancer une recherche sur un truc où j’hésite. L’an dernier, j’ai fait un diagnostic vachement rare, avec un nom compliqué, donné par les tiques, avec gros cordon de lymphangite toussa. Le patient avait exactement le même que sur la photo. J’ai tourné l’écran pour qu’il voie bien qu’il était comme sur le site, je lui ai prescrit son unidose de cycline, et il a rappelé tout content une semaine plus tard pour me dire que ça avait bien guéri comme prévu.
10 juin, 2008 à 21 h 19 min
pb: être en ligne sur l’équipe.fr pour suivre roland Garros et … se faire prendre!
24 juin, 2008 à 21 h 50 min
Tous > je n’ai pas de problème particulier pour ouvrir un bouquin ou internet devant un problème précis. Je l’ai fait récemment parce que je suis toujours infoutue de retenir tous les anti-corps-anti-poildefouine qu’il faut demander dans le bilan d’une suspicion de PR, et la patiente l’a tout à fait bien pris. Seulement, là, dans ce cas, il ne suffisait pas d’ouvrir UNE page internet. J’avais les cours bien en tête, la théorie était là, mais c’était la pratique qui était à la frontière de trop de théories. C’est cinq minutes au calme qu’il m’aurait fallu.
> Tom : ça dépend du patient, ça dépend de la maladie, ça dépend de la relation avec le patient, ça dépend du déroulement de la consultation. Mais sur le principe, oui, pourquoi pas, c’est possible.
Encore une fois, certains patients peuvent comprendre, et même apprécier, qu’un médecin dise « Ecoutez j’ai continué à réfléchir à votre problème, et j’ai changé d’avis ». D’autres ne le peuvent pas.
> SensasSandra : voui, c’était fait exprès. Paraît même qu’on écrit « Au temps pour moi », même si la contre rumeur veut que ça devienne controversé. ;)
> Kiffe : j’essaie, j’essaie… ;) Merci !
> Maduixa : et des fois, on tombe sur des gens qui s’en fichent de savoir si on a retenu le nom-idiot ou la définition-à-la-con, mais pour qui ça compte de savoir qu’on a compris le principe, la logique de la chose et le bon sens de la situation. Ca arrive, vraiment… Et ça fait du bien.
> Mbs et JipéR : c’est vrai que le doute fait partie du métier. Et que, dans le doute, j’aime autant passer pour une poire à 99% que de passer à côté du truc rare à 1%. Mais là, quand même, en l’occurrence, c’est clairement une erreur de débutante.
24 juin, 2008 à 21 h 53 min
PS :
> SensasSandra : je suis linkée quelque part sur votre blog, me dit Google-analytics, mais je ne trouve pas où… Auriez-vous un indice ?