C’est pour un antibiotique, c’est juste ?
31 mai, 2008
Le lundi, je travaille sur rendez-vous dans le cabinet du Dr Carotte.
Mais entre celui qui se pointe toujours avec 35 min d’avance, celui qui est en retard, celui qui vient pour prendre rendez-vous, celui qui vient parce qu’il ne sait pas, et le bon, le prochain, qui a vraiment rendez-vous à la bonne heure, il y a toujours deux ou trois personnes dans la salle d’attente.
Je fais un tour de salle, pour savoir qui est là pour quoi.
Elle, elle n’a pas rendez-vous.
– Vous avez rendez-vous, Madame ?
– Non, mais ma fille qui travaille au garage m’a dit de venir. C’est pour ma bouche, dit-elle en pointant un index potelé sur son menton, c’est juste pour un antibiotique.
C’est « juste pour un antibiotique ».
J’adore.
L’autre jour, un gars m’a fait le même coup, c’était « juste pour un arrêt de travail ».
Je ne sais pas pourquoi on se casse le cul à voir les gens. On mettrait un distributeur dans la salle d’attente que tout le monde serait content.
Twix, 1 euro. Coca, 1 euro 50. Arrêt de travail, 22 euros. Paquet de chips, 80 centimes. Ordonnance, 22 euros.
– Ah, je suis désolée, mais je ne prends que sur rendez-vous aujourd’hui, et je n’ai plus du tout de place cet après-midi.
– Non mais je sais, hein, ils me l’ont dit quand j’ai téléphoné au secrétariat ! (Ok. Donc, tu sais qu’il n’y a pas de place, et tu viens quand même planter tes fesses dans un fauteuil de ma salle d’attente, façon couteau sous la gorge, en parfaite connaissance de cause). Mais je vous dis que c’est juste pour un antibiotique !
– Vous savez, tout le monde vient « juste » pour quelque chose. Je suis vraiment désolée que vous vous soyez déplacée pour rien, mais je ne peux pas vous prendre entre deux rendez-vous. Si je vous prends, je décale tous mes rendez-vous, et je fais attendre tous les gens qui ont pris rendez-vous justement pour ne pas attendre.
– Mais enfin écoutez, puisque je vous dis qu’il y en a pour cinq minutes ! Ma fille travaille au garage ! (Ca doit être un code, « Ma fille travaille au garage ». Je ne sais pas ce que le Dr Carotte a comme dette d’honneur envers le garage, mais ça a l’air drôlement important)
– Ecoutez, vous pouvez venir demain en consultation libre, vous pouvez prendre rendez-vous un autre jour, et si vous pensez que ça ne peut pas attendre, vous pouvez aller voir un autre médecin, mais je ne vais pas pouvoir vous recevoir aujourd’hui.
– Un autre médecin ! Mais c’est le Dr Carotte mon médecin traitant, je ne vais pas aller en voir un autre !
– Alors passez le voir demain si vous voulez. Aujourd’hui, ce n’est pas possible.
Elle se lève, visiblement excédée. Je crois qu’elle n’a jamais vu un affront pareil. On n’est pas habitué à une telle insolence, quand on est la mère de la fille qui travaille au garage.
– Pfff. Y en avait pour cinq minutes. Depuis le temps qu’on en discute, ce serait déjà fini depuis longtemps.
– Je ne prescris pas un antibiotique en cinq minutes.
Elle n’a pas entendu la fin de ma phrase, la porte a claqué avant la fin.
Et, effectivement, maintenant, j’ai 10 minutes de retard.
31 mai, 2008 à 15 h 48 min
J’adore vraiment ton blog avec des vrais bouts de vraie vie dedans!
31 mai, 2008 à 16 h 39 min
*tuuuut* Bonjours, ici le standart téléphonique du Dr Carotte. *tuuuuut* Si vous voulez juste un antibiotique, faites le 1; si vous voulez un arrêt de travil, faites le 2; si vous voulez une pizza sans pépéronis, faites le 3; si vous voulez une IRM du genou, faite le 4…
31 mai, 2008 à 20 h 03 min
tu as tres bien fait. moi je me dis que je suis svt trop gentil(trop con ?). en tout cas , les mentalités ne changeront que par ce genre d’attitude (courage?)
merde pour la suite et continue de nous arroser des tes bons papiers! merci
31 mai, 2008 à 22 h 20 min
Magnifique! J’suis définitivement fan de ton style d’écriture! ;)
1 juin, 2008 à 10 h 11 min
Même si on imagine facilement que le problème de cette personne trouve ses fondements dans la manière dont elle perçoit le système de prescription, on imagine d’autant plus facilement qu’il y a une touuuuuute petite chance pour que la façon d’exercer du Dr. Carotte puisse être, en partie, à l’origine de cette exigence désinvolte.
Ceci dit, mamie dans les orties, le contexte de prescription, le passé de la relation « thérapeute-thérapeuté », tout ça explique, au moins en partie, la probable responsabilité du médecin.
M’enfin bon, à replacer le (sérieux) contexte de prescription du Dr. Carotte, on oublie le (moins sérieux) contexte de prescription du Dr. dresseur d’ours, et ce serait bien moins drôle il faut le dire.
1 juin, 2008 à 19 h 37 min
« c’est juste pour » ou « ça ne va pas être long »
sont en général annonceurs de « je vais mettre 2 fois plus de temps pour 2 fois moins de considération ! »
Docteur Jaddo je vous adooore !
(pas de méprise, je suis une femme mariée ;)
3 juin, 2008 à 7 h 22 min
Dix ans que c’est mon médecin – pas traitant, on l’a toujours pas signé ce fichu papier à la c… il faut dire qu’on s’est retrouvés tout étonnés l’un et l’autre à la manif contre – et pourtant, j’ai jamais osé !
Faire du flan pendant 1/4h à son dragon de secrétaire m’assurant dès 8h du matin que « non, non, si je veux être malade demain vers 14h ça ira, mais aujourd’hui, c’est vraiment pas possible », ça m’arrive si même descendre mes trois étages pour aller à son cabinet, même ça, ça me flanque le vertige ; raccrocher furieuse et aller bosser quand même en contaminant tout le monde, ça aussi j’ai fait ; appeler la cheffe en lui disant que dans deux heures, quand le doliprane aura un peu fait baisser la fièvre, je pourrai peut-être aboyer dans les couloirs de façon à peu près crédible, oui, aussi.
Mais me pointer comme ça, entre deux patients, même quand c’est lui qui me l’a dit « juste » pour lui montrer les résultats de l’analyse qu’il m’a prescrite, c’est incroyable comme ça me met mal à l’aise.
Le précédent, il ne prenait jamais sur rendez-vous. La plupart du temps, quand j’arrivais dans sa salle d’attente, il y avait au moins 15 personnes devant moi – je suis une patiente d’une banalité crasse : je tombe toujours malade en même temps que tout le monde. Le plus souvent, je faisais demi-tour, avec éventuellement un petit crochet par la pharmacie d’en face.
Moralité : peut-être que je contribue un peu de cette façon à diminuer le trou de la sécu ;-)
3 juin, 2008 à 10 h 59 min
bah !! tu n’as pas fini !!!
3 juin, 2008 à 11 h 31 min
ça s’appelle remettre les gens en place, je suis tout à fait d’accord avec cette façon de faire ! Je prendrai exemple sur toi quand ça m’arrivera (très tôt ou tard…). Bonne suite
3 juin, 2008 à 19 h 20 min
…
au moment où j’allais téléphoner à mon médecin et lui dire « c’est juste pour une ordonnance de bilan de coag »…
… enfin, je comprends vraiment bien, mais de l’autre côté, heureusement que j’aurai bientôt mon propre bloc d’ordonnances, parce que je suis persuadée que j’aurais fait une patiente affreuse !!!…
… sans rire, non médecins, vous ne pensez pas que ça aurait pu vous arriver ?
3 juin, 2008 à 22 h 38 min
je viens d’en apprendre une bien bonne encore…
vous les saviez vous que maintenant on ne nous rembourse plus que 20,50 sur la consultation?
-1 euros pour l’effort national à réduire le trou de la sécu, je savais mais maintenant il y a aussi -0,50 qu’on ne nous rembourse plus si on a une prescription du toubib…
bientôt, il n’y aura plus de forfait optique non plus…
et jamais on ne regarde du côté des hôpitaux publics pour faire des économies au lieu de toujours tirer sur nous les vaches à lait?
bref….
ah oui et après les 210 dollars pour ma consult et pharmacie aux Etats-Unis pour une bronchite (au départ) qui me seront remboursés au tarif français (ça encore c’est normal, j’avais qu’à aller en vacances ailleurs en même temps…), j’ai du retourner chez le toubib à Paris (laryngite) et chez l’Orl (otite)aussi qui ne me sera remboursé que 23 euros sur les 55………..
merci la bronchite hawaïenne !!! quelle plaie !!
4 juin, 2008 à 2 h 07 min
c’est comme çà ah aha ah aha ah aha ah ……. la la la la la ….
4 juin, 2008 à 5 h 51 min
Alors j’arrive ici car Marie Renée que je remplace me dit: va voir ce blog, je crois que ça va te plaire… Ben tiens…j’ai tout lu d’un coup(comme plein).. j’y ai même aperçu des gens que j’ai remplacé..mais je m’égare..
Du coup, j’y retourne en espèrant un nouveau billet .. la drogue quoi!!!
Et alors ce billet-là m’a tant et si bien parlé que je me lance pour le MERCI et le coup de chapeau..vraiment c’est tellement bon de lire tout ça et de voir que ce n’est pas seulement à moi que ça arrive ..pas seulement de ma faute… pas seulement parce qu’on a seulement « l’air de.. »(euh,la remplaçante?) et qu’on ne »mérite »pas de faire son travail correctement et que les patients viennent entre deux « juste pour »…je suis d’accord parfois le médecin leur a appris le « juste pour » et je suis d’accord il faut se battre pour éviter ça .. parfois c’est un peu dur, parfois on a envie de baisser la garde(oui, je suis bien docteur, non pas en stage.. je préfère vous voir en consultation pour mieux vous soigner…je sais c’est possible avec le docteur C mais je ne vous connais pas) ….et se laisser aller au « juste pour »….arrrrrrrrrgh nnnnnnnnnnnnooooooooooonnnnnnn
11 juin, 2008 à 0 h 41 min
Chère Rrrr,
J’ai découvert votre site par l’intermédiaire d’un ami médecin généraliste et je l’ai parcouru (votre site !) avec délectation ; surtout poursuivez , votre regard sur la pratique médicale est revigorant ;
Je voudrais juste que vous imaginiez le désarroi du Dr Carotte lorsqu’il va revoir sa patiente venue « juste pour un antibiotique »
-ah Docteur, il faut que je vous dise, votre remplaçante, ça ne va pas du tout !
-… silence empathique
-elle n’a pas voulu me recevoir alors que j’allais vraiment pas bien
-…le silence est d’or
-et en plus elle ne m’a pas donné d’antibiotique !
Et là 2 solutions : défendre sa remplaçante (absolument déontologique, mais je doute de l’intérêt pratique) ou bien glisser sur l’incident (qui de toute façon est clos) et demander le motif de la consultation du jour.
La gestion du temps de consultation est un exercice difficile, chaque médecin a ses propres règles ; recevoir un(e) patient(e) entre deux demande une évaluation très rapide du degré d’urgences (sous peine de se laisser envahir) mais j’ai beaucoup de mal à ne pas recevoir un(e) patient(e) quitte à proposer un rendez-vous après les rendez-vous
Une autre amie médecin généraliste m’a proposée l’approche suivante : elle demande au patient : « vous ne devez pas vous aimez beaucoup si vous pensez que votre santé ne mérite pas mieux qu’une consultation entre 2 portes ? »
Sa propre expérience n’est pas transmissible (maxime de maître de stage !) je ne suis pas arrivé à intégrer sa façon de faire dans ma pratique…
Il y a aussi le patient qui va trouver la remplaçante vraiment très bien, « elle m’a bien bien examiné » (que dois comprendre le médecin traitant ?….)
Au plaisir de vous lire encore
21 juin, 2008 à 11 h 28 min
« On n’est pas habitué à une telle insolence, quand on est la mère de la fille qui travaille au garage. »
J’adore!
26 octobre, 2008 à 15 h 13 min
[…] connus, résultat de l’utilisation inconsidérée de ces molécules (exemple sur ce billet d’une généraliste n’ayant pas son humour dans sa poche), et de l’incapacité des patients à respecter […]
13 octobre, 2012 à 23 h 05 min
J’adore… tant la façon d’écrire que la façon de faire! J’ai beaucoup de mal à refuser une consultation, tjs peur de passer à côté de qqch, mais j’aimerai en être capable quand l’urgence n’en est pas une! en tout cas merci pour tous ces bouts de vie si bien écrits dans lesquels je me retrouve!