Un train en marche
19 mai, 2008
C’est rigolo, de remplacer plusieurs médecins.
Et c’est dur, d’arrêter un train en marche.
Et puis, le plus souvent, avouez que c’est même pas la peine d’essayer.
Mine de rien, on ne fait pas ce qu’on veut, quand on remplace. Un vrai exercice de style.
On s’occupe des patients d’un autre. Provisoirement.
Si on est complètement d’accord avec la prise en charge, on s’inquiète de faire moins bien.
Si on n’est pas complètement d’accord avec la prise en charge, si on trouve que c’est un peu trop, ou un peu pas assez, ou un peu à côté de la plaque, ou du grand n’importe quoi, il faut peser soigneusement le rapport bénéfice/risque de l’ouvrage de gueule.
Est-ce que ça vaut VRAIMENT le coup de risquer de gâcher une alliance thérapeutique qui se passe bien pour éviter une prescription de magnésium ?
Est-ce que ça va servir à quelque chose d’essayer de lancer un sevrage de benzos, alors qu’on ne sera plus derrière pour assurer la suite, alors qu’on sait très bien que la prescription sera reconduite à la prochaine occasion ?
Est-ce qu’on est à ce point persuadée d’être plus maligne que l’autre, juste parce qu’on n’aurait pas fait pareil ?
Alors on calque. On soigne « comme ».
On joue au docteur.
Le lundi matin, on sait qu’on va prescrire beaucoup de Doliprane, beaucoup de patience et pas mal de citron chaud.
Le jeudi après-midi, on sait qu’on va prescrire de la carbocystéine, reconduire des oligo-éléments et des arrêts de travail, distribuer des gougouttes pour le nez et du locabiotal.
Le lundi matin, on sait qu’on va passer plein de temps à parler et à se taire.
Le jeudi après-midi, on sait qu’on va passer plein de temps à écrire.
Et en définitive, c’est assez passionnant.
Ca permet d’apprendre un peu tous ces médicaments qu’on ne connaît pas parce qu’on ne les prescrit jamais, mais auxquels on sera forcément confrontés un jour ou l’autre, parce que des patients nous en parleront. Ne serait-ce que pour être capable d’argumenter tout le mal qu’on en pense au lieu de se contenter d’un haussement d’épaule peu convaincu, et peu convaincant.
Ca permet de réfléchir deux fois plus. D’aiguiser son sens critique, de comparer ce qu’on fait tout le temps, ce qu’on ne fera jamais et ce que, bon, faut voir. Ca permet de se poser des questions. Ca permet d’énerver assez pour donner l’énergie de chercher des preuves.
Ca permet de réfléchir deux fois moins. Et de se reposer un peu. Les prescriptions faciles peuvent être très reposantes, pour peu qu’on réussisse à ne pas dépenser trop d’énergie à fulminer contre.
Renouveler du Stilnox, ça prend 3 minutes et 2 neurones, et le patient repart tout content.
Discuter de la physiologie du sommeil, convaincre, écouter, rassurer, débattre, argumenter, ré-expliquer, essayer de comprendre et de s’adapter, ça prend 35 minutes-que-à-la-fin-on-a-pas-même-pas-fini et pas loin de deux hémisphères, et le patient repart une fois sur trois en tirant la gueule.
Alors, quand on peut se permettre de flemmarder un peu, parce qu’on a décidé de ne pas lutter contre le train en marche, quand on peut se permettre de facturer 220 euros horaire du neurone, en se déculpabilisant parce qu’après tout, ce n’est que la merde de l’autre, alors, disais-je donc bien plus haut, ça repose un peu. Il y a une certaine jouissance à se laisser aller au recopiage d’ordonnance.
Ca permet de se rassurer. Quand on croit qu’on ne sait rien faire, quand on croit qu’on ne pourra jamais être à la hauteur, on se rend compte que ça, on sait le faire, et que visiblement ça ne vous traîne pas forcément en prison et ça ne vous empêche pas d’avoir une patientèle. On se dit qu’au pire, on réussira toujours à faire ça.
Ca permet de relativiser. Ca permet de se découvrir dédaigneuse et méprisante, ça permet de se souvenir qu’on est en train de juger du haut de nos deux ans d’exercice et de nos deux couettes le travail d’un type qui a 30 ans d’expérience, et une prescription qui a peut-être été réfléchie et pesée dans un contexte qu’on n’a pas pris le temps de connaître, d’un patient qu’on n’a pas pris le temps d’apprivoiser.
Ca permet de se donner l’envie et le courage d’avancer. Ca permet d’avoir envie de trouver l’énergie de monter SON cabinet, avec SES patients. D’exercer comme on pense devoir le faire, sans avoir peur de faire perdre à un autre un patient qui n’est pas à nous. De se façonner une patientèle qui nous ressemble, à qui on plaira parce qu’on donne du doliprane et du citron chaud, et qu’on verra partir sans regret pour un autre qui lui convient mieux si on ne lui convient pas.
Ca permet d’avoir envie de faire sa merde à soi, qui sent toujours un peu meilleur que celle des autres.
19 mai, 2008 à 23 h 37 min
Voilà, c’est tout à fait ça.
Après 5 ans à user mes fonds de culottes sur les fauteuils en cuir des autres, je me suis fait une idée du médecin que j’avais envie de devenir, et surtout de celui que je ne veux jamais être.
Je fais le grand saut dans 6 semaines…
P’têt même que je vais avoir bientôt besoin d’un remplaçant pour critiquer mes prescriptions!
20 mai, 2008 à 0 h 11 min
Sujet interessant. Cela fait bientôt 4 ans que je fais le « caméléon » (il ne faut pas rêver, la sacrosainte confraternité, le désir de ne pas « déboussoler » un patient, et l’humilité bien sûr… font que je ne me lance qu’avec parcimonie dans des experiences personnelles lorsqu’il s’agit de renouveler des chroniques…)
Au final: beaucoup de conflit intérieur (si si), un peu beaucoup de frustration.
Solution : remplacer des confrères ouverts (je me souvient avec effroi du premier » vous ne changez pas les ttt au moins ?… »
Mais comme le dit docteursachs, à qui je souhaite bonne chance, la solution résulte dans la patientèle à soi… Mon voeux pieux était de « créer » ( maintenant, avec la réforme « medecin traitant », dur dur).
Les patients ressemblent à leur médecin. et réciproquement. Ce qui, en me concerne, est tout à fait flippant.
20 mai, 2008 à 10 h 31 min
au debut on fait avec la patientele que l’on a apres on a la patientele que l’on merite et çà aussi parfois c’est dur .Quand à la confraternite n’y comptez pas, quand il est question de sous çà n’existe pas, même si il y a du travail pour tout le monde, le probleme est que « tout le monde » en question estime ne pas etre payé à sa juste valeur ( c’est vrai, moins que le prix d’un DVD, je rêve…)l’energie que nous depensons tous pour s’occuper de quelques patients qui te sont reconnaissants, et de beaucoup d’autres qui consomment en fulminant que tu creuses le trou de la secu sans leur donner les medicaments qu’ils veulent pour une consult qu’ILS te paient 22 euros mais dont ils oublient fort à propos qu’elle leur sera remboursée, sans oublier de verifier qu’elle l’a bien été…Je ne suis installée que depuis quatre ans, en reprise de cleintele d’une consoeur à qui je ressemble beaucoup à tous points vue (j’a eu de la chance …) mais il m’arrive parfois ,déjà, de regretter le salariat.Pour s’insatller en ville , il faut vraiment être convaincu de ne pas supporter le « panier de crabes » que constitue l’hôpital parce que c’est un vrai sacerdoce .. Et encore, je ne t’ai pas parlé des rapoorts avec la secu qu’on n’a pas en étant remplacant ..Ca aussi c’est joyeux… Profite de ton satut de remplacant jusqu’à ce que tu ne puisses plus supporter de soigner autrement que comme tu le vois toi …. apres…Dieu te garde…
20 mai, 2008 à 10 h 41 min
Et oui, créer son propre environnement de travail, quel bonheur ! (installé seul depuis 1 mois).
En tant que remplaçant, j’ai touché à cet avantage de faire ce travail tant désiré de « médecin traitant » ou « médecin de famille » (je préfère) lors d’un remplacement régulier de 3 ans, c’est ce qui m’a aiguillé vers l’autonomie. On prend peu à peu confiance en soi, on se rend compte qu’on n’est pas plus fort qu’un autre, mais qu’avec nos petites manières d’être, nos petites habitudes, notre petite médecine perso est appréciée par certains, et c’est encourageant ! On se rend compte que les quelques stages hospitaliers déprimants qu’on a pu faire, s’ils ne nous apprennent pas la MG, nous donnent une expérience très appréciable (et appréciée) dans ces spécialités.
PS: jaddo cité dans la revue du prat MG de ce jour. félicitations !!!
21 mai, 2008 à 21 h 39 min
bravo à vous, (à ceux qui commentent aussi) Remplacer ça n’est pas facile, d’ailleurs je sais, je n’ai pas vraiment oublié.C’est pareil quand on est installé comme moi dans une station balnéaire où les patients de l’été sont au 3/4 des gens de passage (mais qui reviennent d’une année sur l’autre). On voit passer des ordonnances devant lesquelles on a bien envie de faire la grimace… (in petto: « misère, des anti-inflammatoires avec un diurétique chez une mamie de 80 ans…. »)… euh dernière prise de sang? c’est moi qui l’ai faite quand vous êtes venue en vacances l’année dernière???… (Silence lourd de sens…)
Mais il y a aussi des pratiques dans lesquelles on s’y retrouve, et sûrement d’autres qui sont meilleurs que nous.
les somnifères: même pour nos patients parfois on craque malgré la connaissance et la pratique de l’entretien motivationnel… surtout quand on a déjà 3/4 d’heures de retard.
au fait, ça vous dirait un remplacement en Bretagne sud mi-juin /mi juillet? (on voit la plage par la fenêtre)nous sommes deux et avons la mauvaise idée de partir en vacances ensemble et il nous manque un remplaçant… quelques jours???
22 mai, 2008 à 13 h 57 min
– Docteur, l’institutrice pense que mon fils est hyperactif. Vous en pensez-quoi, vous ?
– Franchement … j’ hésite … entre mal-élevé et casse-couilles
Quand tu arriveras a dire ça a tes patients tu seras libre petit scarabée
:-))
22 mai, 2008 à 16 h 29 min
Dagon,
si tu cherches à t’associer, je suis preneuse!
23 mai, 2008 à 1 h 05 min
Sortez vos tetes de vos culs et rendez-vous compte que le remplacement c’est de la merde
23 mai, 2008 à 1 h 28 min
petit message à « anonyme » (ou la palme du courage): tu as encore oublié tes gouttes (désolé rrr, je te la pique celle là)!
Un moment j’ai cru (quel naïf) que ce blog resterait imperméable aux cons…
remplacer c’est apprendre. point final. idiot.
23 mai, 2008 à 9 h 41 min
ben non, je regrette pas l’époque où j’étais remplaçant, une vie en freelance avec des parentheses ludiques, le seul bemol etait le partage des honoraires selon les remplaçés de 50% a 80%. tu m’as l’air bien amer maisbiensur. installé depuis 17 ans c’est pas mal aussi :-))
ps: vraiment poilant ce blog !
23 mai, 2008 à 9 h 44 min
oups mon msg precedent s’adressait a anonyme, bien sur ;-)
sorry maisbiensur :-)
23 mai, 2008 à 10 h 37 min
Dagon: tous ces commentaires dégoulinant de niaiserie me font pitié. que tu me dises que je t’ai « l’air bien amer » me laisse à penser que nous n’atteindrons pas la même longueur d’onde.
je suis effondré de voir écrits par des médecins ces commentaires.
23 mai, 2008 à 11 h 28 min
Anonyme: Personne n’oblige à lire…
Dagon: merci pour ces 2 lignes sur les enfants pseudo hyperactifs, c’est génial (et tellement vrai !) dans le même style que » je suis désespérée docteur, il mange que des frites et des bonbons (mais j’en rachète quand y’en a plus passeque le pôvre il faut bien qu’il se nourrisse il faut pas le laisser mourir de faim et puis ça lui fait tellement plaisir 50 kg à 9 ans c’est beaucoup dites docteur ? »
23 mai, 2008 à 13 h 03 min
Cher « anonyme »,
« le remplacement, c’est de la merde », ça me semble un brin péremptoire. Peut être es tu tombé sur des médecins peu recommandables (ça nous est tous arrivé), peut être que c’est un mode d’exercice qui ne te convient pas, mais je crois que ton avis nécessite d’être un peu argumenté, non?
23 mai, 2008 à 19 h 29 min
cher docteursachs: j’ai juste exprimé une opinion, si ça t’amuse d’aller faire le zozo dans le cabinet d’un autre grand bien te fasse
23 mai, 2008 à 20 h 11 min
Le fait que le singe zozo soit le heros d’une BD belge des années 30 a t-il un rapport avec notre dresseuse d’ours ?
24 mai, 2008 à 9 h 47 min
Entre deux hypothèses, mon coeur balance : soit notre anonyme est un Superdocteur et était capable de s’installer le lendemain même de son dernier stage de résidanat (ce dont en toute modestie je ne me sentais pas capable, et mes années de remplacement m’auront permis de prendre l’assurance de), soit nous avons affaire à un beau specimen d’homo sapiens simplex (ta façon d’exprimer ton opinion me fait penser à ma nièce de 5 ans quand elle dit qu’elle n’a jamais mangé de betteraves mais que de toutes façons elle n’aime pas ça et gna gna gna).
25 mai, 2008 à 1 h 11 min
bonsoir à tous. il n’est pas trop utile (je crois) d’épiloguer sur ce qui ne semble être que du petit mépris. Ce chouette blog ne mérite pas çà. (l’anonyme n’est pas toubib , juste polemiste sans arguments…)
bonne nuit
ps : rrrr t’es énorme!
25 mai, 2008 à 4 h 30 min
docteursachs: ça ne me déplait pas que ma façon d’exprimer mon opinion t’ai fait penser à ta nièce de 5 ans.
les remplacements ne m’intéressent pas et je trouve que c’est de la merde c’est tout. on va faire une thèse la dessus ou on va comprendre que chacun ses goûts?
donc je vais te paraphraser simplement un truc que je t’ai déjà dit: je trouve que les remplacements c’est de la merde, et j’ai pas envie d’argumenter, j’ai juste envie de le dire, maintenant à quoi bon insister à le souligner? ok merci pour la comparaison avec ta nièce -cf gnagnagna- mais moi c’est pas gnagnagna c’est Je trouve que les remplacements c’est de la merde. Voilà, en espérant ne pas avoir à ré-évoquer ce sujet.
25 mai, 2008 à 19 h 53 min
Bon, je ferme les commentaires ici.
Ca ne m’amuse pas d’avoir à jouer aux modératrices :-/
Désolée de ne pas l’avoir fait plus tôt.