La mauvaise réputation
9 février, 2008
Ma tête est une vraie saloperie.
Elle retient ce qu’elle veut, avec une nette prédilection pour les choses inutiles.
Je dois connaître, au bas mot, plusieurs milliers de chansons par coeur. Un vrai jukebox du patrimoine français. Mettez une pièce, demandez une chanson, je la connais. Du début à la fin, avec les couplets dans l’ordre et tout.
Mais prenez-moi par surprise et dites-moi « Cite-moi un macrolide », c’est le trou noir.
Voilà, l’aveu est fait, et il est douloureux.
Il laissera peut-être les non-médecins de marbre, et les médecins incrédules devant l’ampleur du désastre. Attention où vous mettez les pieds, y a ma crédibilité qui doit traîner quelque part.
Mais voilà, non, vraiment, les classes** de médicaments et moi, on est en instance de divorce permanente.
Brassens, où tu veux quand tu veux, les mains dans le dos et les yeux fermés.
Les antibios, pas ce soir, chéri, j’ai la migraine.
Et comme je sais que je ne sais pas, je panique et c’est pire. Ma cervelle se transforme instantanément en marmelade. Gelée de neurones.
Je sais bien que l’information a été là, un jour, quelque part dans le magma gluant qui remplit ma boîte crânienne, mais impossible de retrouver le chemin qui y mène.
A force, bien sûr, je connais les antibiotiques à prescrire en première intention dans la plupart des pathologies courantes. Mais non, définitivement non, ils n’arrivent pas à se ranger dans ma tête dans de jolies petites cases de jolies petites classes.
En me concentrant très fort, je peux réussir à me dire dans les bons jours que si ça finit par « cilline », y a des chances que ce soit une pénicilline.
Mais après 6 mois dans le même service, à prescrire les 6 mêmes antibios pour les mêmes pathologies inlassables qui reviennent, je suis encore capable de ne plus savoir si là, c’est la rocéphine ou l’érythromycine. Ca finit tous les deux en « ine », bordel de merde.
Et d’ailleurs, je ne connais pas le spectre des pénicillines.
C’est par coeur (Maladie x = Médicament y) (pourquoi, au passage, les inventeurs de toutes ces merveilleuses molécules ne les ont pas appelées « Otitine » ou « Anginine » ou « Pyelonéphrine », je pose la question) ou c’est marmelade.
Quand on me conseille gentiment : « T’as qu’à mettre un macrolide avec une bonne pénétration ORL« , inutile de vous dire à quel point c’est marmelade.
Hin hin hin. Oui, ok, merci, bonne idée. Un macrolide à bonne pénétration ORL, c’est parti mon kiki.
Et pourtant, Dieu et Pasteur savent que j’ai essayé.
J’ai lu, j’ai relu, appris, désappris, ré-appris. J’ai même essayé de me faire des moyens mnémotechniques en chanson. Avec que des mots qui finissent en « ine », forcément, ça n’a pas été fabuleusement efficace.
Quand j’entends des confrères discuter autour de moi d’un traitement, réfléchir et débattre pour trouver d’eux-mêmes le médicament le plus approprié, sans avoir à regarder dans un bouquin ou dans les recommandations officielles, discuter du spectre, de la pénétration, et qu’en troisième intention sur tel microbe on aurait intêret à essayer tel médicament parce qu’il y a sans doute une résistance à tel sous-bidule et qu’avec les effets indésirables de telle classe on ne peut pas utiliser telle molécule chez un insuffisant rénal, je me transforme en Joey dans Friends.
Je hoche la tête en prenant l’air concernée, alors que les syllabes dansent dans ma tête comme autant de petites particules de son dénuées du moindre sens.
Je rêve d’un monde aussi simple que les cas cliniques de la fac, qu’on pouvait conclure d’un triomphal et bien inutile « Antalgiques, soins locaux et Antibiothérapie adaptée« .
J’ai cru longtemps que ça finirait par venir avec le temps.
Je commence à avoir des doutes. Je finirai peut-être mes jours Vidal-olique. Ou je me ferai tatouer des antisèches sur les avant-bras, je ne sais pas encore.
Et encore, là, je ne vous ai parlé que des antibios. La semaine prochaine, si vous êtes sages, on attaque mes fabuleux amis les anti-hypertenseurs.
** Pour ne prendre que l’exemple des antibios :
Il y a des tas et des tas de microbes, et des tas et des tas de médicaments. Les microbes sont rangés en familles et en sous-familles, les médicaments aussi. La famille d’un médicament, c’est sa « classe« .
Certaines classes marchent contre certaines familles de microbes : c’est le « spectre » de l’antibiotique.
Et après, on rajoute des tas de propriétés rigolotes qu’il est de bon ton de connaître : son mode d’action, sa prédilection pour tel ou tel organe, ses effets indésirables, sa durée de vie dans le sang, s’il se donne par la bouche ou par les veines ou en intra-musculaire ou les deux ou les trois, ses copains-antiobiotiques qu’on risque d’être allergique aussi à si on est allergique au premier, ses posologies et j’en passe.
Et encore après, on donne deux ou trois noms à chaque médicament. Son petit nom de marque et son nom officiel de molécule. Parce que sinon ça risquait d’être pas assez rigolo.
9 février, 2008 à 21 h 20 min
Bonjour,
perdu dans les blogs de la toile et indirectement orienté via Fask, c’est avec bonheur que j’ai découvert votre blog. Des textes qui me rappellent un vieil ami généraliste (ne tenez pas compte du terme « vieil ») et de sa lutte sans merci pour tenter de retenir ces mêmes liens entre microbes et médicaments.
Vous n’êtes pas seule à lutter, et même si aujourd’hui il vénère toujours le dieu Vidal, certains ont finis par rester en tête et il n’a qu’une peur : que ceux là disparaissent.
Je compatis, soyez forte.
Je lui transmet l’adresse de votre blog, il pourra certainement vous remonter le moral.
10 février, 2008 à 10 h 52 min
et Ceux qui sont Gram + ou Gram -, ha le grand bonheur toutes ces couleurs ! le Vidal, en livre de chevet, c’est mieux qu’un somnifère, non ? Vidal : gram + , mode d’action : neurologique, effet secondaire : somnolence,
Mais je vous rassure, c’est la même chose avec le DMV (équivalent chez les vétérinaires). Quand le mémoire défaille, on est bien content de les avoir ! Même si au final, j’ai fini par connaitre les effets secondaires, indications, mode d’action, élimination des principales molécules que j’utilise, il n’y a pas de honte à vérifier…
10 février, 2008 à 13 h 46 min
Ne te fais pas de mourron ! Tu parviendras bien à caser l’essentiel dans ton magma neuronal sans avoir à te préoccuper de la couleur des Gram, de la pénétration des macrolides ou autre philosophie des quinolones ! Je suis passé par là ; on est tous passés par là et on s’en sort pas trop mal ! Alors persévère : je ne me fais aucun souci sur le devenir de tes patients qui ont une infection par ici ou par là…
11 février, 2008 à 12 h 04 min
Un jour tout s’éclaire….
Bon pas toujours complètement, il reste parfois des zones d’ombres. Mais tu verras, en cabinet se sera différent, tu auras ton meilleur amis avec toi: ton ordinateur.
Bien utile pour vérifier sur le vidalCD une posologie, une indication, une contre indication, discrètement, tout en parlant du prochain week-end au ski ou de la varicelle de la petite fille…
Et il y a encore mieux pour tes petits neurones: extraire tous les arbres décisionnels de toutes les recommandations existantes (has, afssaps…) les classer dans un fichier et Oh miracle : en 2 clics et 1 coup d’oeuil, on se « rappel » quel est par exemple l’antibio pour tel stade de BPCO (et quelle est la définition des stades de BPCO par la même occasion…)
13 février, 2008 à 14 h 37 min
Ah ben m**** alors, moi qui ne cesse de me dire que c’est pas grave et ça ira mieux quand je serai interne… C’est mal barré alors!
13 février, 2008 à 21 h 17 min
Bonjour,
Ca fait maintenant plusieurs semaines que je vous lis, avec toujours le même bonheur, et les mêmes éclats de rire.
Merci !
Pour les médicaments, pas d’inquiétude : avec la pratique, les logiciels-qui-vont-bien, et le copain-pharmacien-qui-appelle-quand-ça-craint, tout va rouler, c’est sûr !
14 février, 2008 à 18 h 54 min
Comme je me retrouve dans tes propos!
Depuis mes (récents) débuts, j’utilise à foison ce guide : http://www.antibiolor.org/site/clinique_accueil.php
Il est ici en format informatique, je l’ai en format papier au cabinet et je vérifie toujours la validité de mes prescriptions par ce biais… Et oh! miracle! Je progresse!!
J’attends le post sur les antihypertenseurs, ça je n’y arrive toujours pas.
Bon courage.
21 février, 2008 à 19 h 57 min
> Avalo : un grand merci. Je savais que je pouvais attendre de bonnes choses de Fask ;-)
C’est bon de se sentir moins seule (et là, je ne parle pas de Fask)
> Vétote : je suis toujours surprise en lisant votre blog de la similitude de nos professions. Je ne l’imaginais pas si grande. Merci de votre fidélité et de vos nombreux commentaires.
> Dr le Duc : c’est rassurant, tous ces gens qui disent qu’ils ont vécu la même chose… Merci de vos encouragements :)
> Sel : merci de vos conseils. Je comptais bien faire de mon ordinateur mon meilleur ami en consultation.
> Hérisson : ahah ^^ C’est comme quand on est petit et qu’on croit que le jour où on aura le bac, c’est qu’on sera adulte, vieux et intelligent. Alors que en fait, ah, tiens, non.
Tu verras, on a l’impression de ne pas progresser, mais on progresse quand même à son insu…
> Anonyme : très heureuse que mes textes vous plaisent. J’espère que j’aurai un copain-pharmacien-bien :)
> Virginie : oooh jolie perle !! Ajouté illico dans mes favoris, merci beaucoup !
Le post sur les anti-hypertenseurs, je ne le ferai pas, c’est simple : c’est pareil, en mille fois pire.
23 février, 2008 à 19 h 59 min
J’espère que tu trouveras ton bonheur.
Pour un usage peut être plus simple en consult, j’ai la version qui était disponible en cdrom. Je peux te la communiquer, c’est vraiment bien fait. (je pense que tu as accès à mon adresse mail?)
Pour les antihypertenseurs, je comprends, c’est pas humain ! ;-)
6 mars, 2008 à 15 h 18 min
Hummm le plus important quel est il ? De savoir poser un diagnostic ou de connaitre le traitement ? J’ai toujours eu la conviction qu’on se foutait du traitement. Le tout c’est peut être uniquement d’avoir les grandes contre indic et les interactions majeures en tête. Pour le reste, ce qui fait le médecin selon moi, c’est le diagnostic. On ne peut pas se permettre de laisser trainer, de passer à coté, ou de se planter. Mais une fois qu’on a mis le doigt sur la bonne cause, n’importe quel bouquin/base informatique un peu à jour donnera la bon traitement en 3 secondes (et pour ça, pas besoin de 10 ans d’études dans la majorité des cas …)
28 juillet, 2008 à 1 h 42 min
mon enfant, ma soeur,
quel bonheur
de voir que je ne suis pas seule à nager…
encore que pour les macrolides c’est vite vu:
1/ il y a selui que la visiteuse a été EXTREMEMENT désagréable (= »puante ») et que donc non, jamais jamais jamais. d’ailleurs le nom de celui là du coup je l’ai parfaitement mémorisé.seule et unique fois où une visiteuse med m’a fait mémoriser son produit
2/ de toute façon ça ne marche pas. (oui, bon, des fois si. OK. N’ergotons pas).
21 novembre, 2008 à 17 h 02 min
Je suis très très très déçu que malgré la promesse, je n’aie rien lu encore sur les anti-hypertenseurs…puique c’est ma spécialité !!!
Mais je ne désepère pas puisque depuis deux jours, entre chaque patient -et je te (vous) prie de croire que ça ne me mets pas en avance dans mes consultes, en revanche ça participe à ma bonne humeur- je suis en train de lire l’intégrale de Jaddo…
Toutefois si jamais tu (vous) as (avez)un problème d’HTA, mon mail est fait pour ça…(Winckler me le fait, quand parfois en cardio, j’ai besoin de conseils sur la contraception, si, si, ça arrive..)
21 novembre, 2008 à 20 h 12 min
mais enfin Rrr,détends-toi,l’HTA est un sujet trop sérieux pour être confié à des généralistes ! donc pas besoin pour toi de te farcir tous les anti-hypertenseurs du vidal: délégue, délégue…ça te fera plus de temps pour écrire les posts que nous attendons tous avec impatience( d’ailleurs, tu tardes un peu en ce moment… )
22 novembre, 2008 à 0 h 02 min
Oh mais chouette !
Attention, je risque de vous prendre au mot.
Mais vous auriez dû me dire ça AVANT la femme à qui il fallait introduire un traitement anti-hypertenseur, hyperthyroïdienne mal équilibrée, bipolaire sous Dépakote, avec un diabète insipide et un seul rein. Et qui boit douze litres de flotte par jour.
Et merci :)
Et oui je sais, mais c’est la faute à Wow.
22 novembre, 2008 à 0 h 38 min
c’st qui WOW?
22 novembre, 2008 à 0 h 40 min
Cardio Debrousse était le premier à répondre présent… Il est accroc.. il n’en peut plus d’attendre la « vraie » jaddo. Calme toi… respire..
On t’aime! On est conrent de te revoir… Merci
22 novembre, 2008 à 0 h 55 min
C’est qui MBS???!!!
22 mars, 2009 à 13 h 30 min
Sinon, y’a medqual aussi. Ils font des jolis référentiels, avec des jolies cases, des jolies branches…
Cf : http://www.medqual.fr/pro/admin.php, rubrique référentiels.
14 janvier, 2011 à 19 h 42 min
Salut,
On est 1 an plus tard et tu as du te rendre compte que en ville tu prescris toujours les mêmes ATB.
Tu as fini par éliminer ceux IV, ceux à prendre en 12 fois par jour et ceux (même si c’est dommage) qui donnent une diarrhée d’enfer parce que l’ultralevure n’est plus remboursée et que vous comprenez ma bonne dame avec tout ce qu’on paye déjà…
Evidemment quand tu tombes sur une femme enceinte qui de plus est allergique à la pénicilline, tu es un peu plus embêtée et tu sors ton vidal… (ou tu appelles son gynéco qui en général ne sait pas et sort son vidal)
Voilà… Bisous
Et je suis d’accord pour la dame du labo pas sympa qui a eu l’air qu’a le lapin surpris éclairé par les phares d’une voiture quand dans son argumentation « celui là c’est pour les bronchites des patients avec des facteurs de risque et celui là pour les bronchites des patients sans facteurs de risque », j’ai tenté « mais les patients sans facteurs de risque ne nécessitent pas d’antibiotiques pour une bronchite aiguë »…
12 mai, 2011 à 13 h 59 min
Moki j’arrive nettement après la bataille mais bon c’est parce que je lis depuis le début et là… comment te dire, moi en bonne D1 tétanisée de trouille à la simple idée de l’externat, et surtout fondamentalement perplexe devant ma pharmaco, je m’étais dit « Bon ma fille on se calme un jour tu seras grande/externe/interne/thésée, et là par la prrrratique tu sauras (genre Epiphanie avec petits anges venus du ciel qui rangent tes connaissance dans ton cerveau en laissant des codes couleurs)…
Alors non? Sérieux? Jamais?
…
Et merde !
Et juste parce que ça peut intéresser les nombreux médecins qui passent par là j’ai l’exemple d’une amie(allemande) que j’accompagne donc aux urgences gynéco (en qualité de traductrice germano-franco-médicale) pour pose de stérilet en contraception d’urgence (vous allez comprendre) et là dessus petite prescription pour antalgiques, antispasmodiques et antibio anti toutes les saloperies qu’elle aurait pu se choper… Sauf que, ben oui elle est allergique au gluten (ça on s’en fout) ET … au lactose… ah ah … La tête de l’interne ça valait l’attente aux urgences…
Et oui elle a regardé dans son Vidal, et ma foi j’ai trouvé ça bien plus raisonnable
(NB le Spasfon Lyoc est sans lactose, je le sais maintenant, les autres c’est des poso enfants)
Désolée du pavé, j’aime ce blog, à la folie, même s’il ne me rassure pas toujours… ^^
15 août, 2011 à 0 h 05 min
Salut Jaddo,
je suis en train de lire tout ton blog de la fin au milieu en passant par le début depuis que j’ai croisé sa route (merci maître Eolas…).
Et depuis que je lis, j’adore.
Je ris (j’ai lu 3 fois la blague du « c’est cassé » et en y repensant maintenant ça me fait toujours rire), je pleure (oui parce que dans le genre « Petite maison dans la prairie » je suis très douée), je m’énerve avec toi dans tes révoltes, je m’étonne de certains commentaires (je ne les lis pas tous, faut pas déconner mais je suis tombée par hasard sur ceux d’un certain Cart… et d’autres tout aussi agressifs que je ne comprends pas), et j’ai envie d’adapter ton blog au cinéma (sauf que je suis pas du tout, mais alors pas du tout dans le monde du cinéma, dommage…).
Bref, je ne pensais pas particulièrement commenter quoi que ce soit (parce que je ne commente jamais sur les blogs), surtout pas un post vieux de 3 ans, mais là, quand tu fais référence à Brassens et à une des meilleures scènes de Friends dans le même post, je ne peux m’empêcher de te dire bravo Jaddo, vraiment tu me plais !
9 septembre, 2011 à 9 h 58 min
Mes gros moment de solitude, quand je remplace mon ex maitre de stage (bisous tout plein) qui n’a pas internet… pas de Vidal en ligne tout ça… qui fait ses ordonnances à la main…
Le nombre de fois où j’ai sorti le Vidal pour « juste vérifier les doses » alors que je vérifiais genre TOUT, la classe, l’indication, la posologie…
Avez la pratique je commence à en connaître quelques uns (tiens je vais mettre au hasard… de l’amox !) mais si je sais pas toujours dans quelle case les ranger… pis sinon y’a les antibiogrammes…
Pour les antiHTA, j’ai eu la joie de passer 6 mois auprès d’un cardiologue que j’aime très très beaucoup, et qui m’a dit dès le début : « pour devenir un bon généraliste, on s’en fout que tu saches poser un pace maker, par contre, je vais t’apprendre quoi faire devant une HTA, et quoi faire devant une insuffisance cardiaque » et je le remercie, paske j’ai l’impression d’être un peu moins nulle dans ce domaine, même que des fois je regarde pas le Vidal.