Google, mon amour
22 février, 2008
Je me l’étais promis, dès le début : pas de posts non-médicaux, pas de lien non-médicaux, un blog 100% pur boeuf.
Pourtant, je ne résiste pas à la tentation d’un florilège des recherches Google qui ont amené des gens sur mes pages.
Et, puisqu’on est dans le hors-sujet, j’en profite pour en glisser deux autres :
– Ca y est ! J’ai rattrapé mon retard en réponses-de-commentaires. Si je vous ai ignoblement snobé ces dernières semaines, vous pouvez aller jeter un oeil, normalement, je vous ai répondu.
– Il semblerait que l’information puisse intéresser ceux qui la comprendront : je vous la retransmets donc :
« Tu lui dis d’utiliser cet url là dans son client RSS : obsolèteobsolèteobsolète »
Si j’ai bien tout compris, ça permettrait de savoir quand un nouveau post est posté.
Personnellement, je prends mes petits doigts, j’ouvre mes petits liens avec amour, et je regarde. Je ne dois pas être si geek que ça, dans le fond.
Bref. Revenons au coeur du sujet. Figurez-vous que des tas de gens sont déjà passés par ici. Des fois, grâce à leurs propres petits doigts, des fois grâce à Google. Plus ou moins par hasard, plus ou moins longtemps.
Et parmi eux :
1) CEUX QUI SAVENT CE QU’ILS VEULENT
– noms de médicaments rigolos ((Moi j’en ai un ! « Extranase« . C’est pas super, ça, comme nom de médicament rigolo ??))
– combien est la durée de vie des ours ((J’ai une grande tendresse pour ceux qui parlent à google comme si c’était vraiment leur meilleur ami.))
– combien reste-t-il d’ours polaires en 2008 ? ((12 501,5))
– l’ours meurt-il vraiment dans l’ours ? ((Comme ça a l’air de te tracasser, je te le dis : non. Ne t’inquiète plus))
– comment s’appelle le petit d’ours ? ((Ne cherche plus : un ourson. De rien))
– tout ce qui est beau ((Rien que ça))
2) CEUX QUI NE SAVENT PAS CE QU’ILS VEULENT
– dresseur d’ours dresseuse d’ours avant après juste
3) CEUX QU’ON SAIT CE QU’ILS VEULENT
– dresseuse de bite
– dresseuse de mâle
– mâle disponible pour dresseuse ((Ca doit être le même))
– grosse b
– bonne pénétration
– tu la sens ma grosse
– elles bossent nue sour leure blouse
– infirmière nue entrain de se faire masse
4) CEUX QU’ON NE VEUT PAS SAVOIR CE QU’ILS VEULENT
– grosse bite elle pleure ((Yeurk.))
– anne au cul
– injection dans les couilles
– caca d’ours
– accouchement d’ours
5) CEUX QUI SAVENT CE QU’ILS NE VEULENT PAS
– « bouche à pipe » -gay -gays ((Toi, je te remercie d’avoir passé près d’une longue minute sur mon blog, alors que visiblement tu avais tant à faire))
6) CEUX QU’ON NE SAIT PAS CE QU’ILS VEULENT
– cantine d’ours ((Gneu ??))
– avoir une idée d’une petite histoire de 8 ans ((Je me répète, mais : gneu ??))
– cadrans réfléchis au plafond ((Alors toi, vraiment, vraiment, je ne vois pas ce qui a pu te faire débarquer ici))
– comment un ours connaît son enfant ((Mmmm. Tiens mais c’est vrai ! Comment ?))
– prénom d’ours ((Ah bah voilà ! comme ça !))
– mots que finissent par ours ((C’est trop mignon. Le gars, il tape dans google « Mots que finissent par ours », et il s’attend à avoir une jolie liste toute faite pleine de mots qui finissent en ours))
– passer des heures en dixième d’heures ((Heu… Là comme ça à brûle-pourpoint je dirais en divisant par 10 ?))
– il peut y avoir des trous sans ours mais pas d’ours sans trous solution ((Ah, bah si tu trouves, tiens nous au courant. Ca m’intéresse))
DTS
14 février, 2008
Dans plusieurs services où je suis passée, les femmes étaient appelées par leur nom de jeune fille.
Toutes. Jeunes, vieilles, veuves, mariées, démentes, pas démentes.
Sur les étiquettes, sur la chambre, sur les dossiers, partout, le nomdejeunefille. Sauf dans la partie A1 du dossier, en haut à gauche du feuillet bleu des renseigements administratifs.
A force, on finissait par authentiquement oublier que les dames avaient possiblement un autre nom d’usage.
Quand j’ai demandé pourquoi, on m’a répondu que c’était parce que c’était le nom qui sortait en premier dans le dossier informatique, et que d’ailleurs ça permettait d’éviter les confusions si deux dames avaient le même nom d’épouse…. (Ah. Parce que donc, deux dames avec le même nomdejeunefille, ça se peut pas. C’est bon à savoir.)
Bref.
Déjà, il faut bien dire que ça mettait un peu de piment dans la monotonie ambiante. Ca donnait lieu à des situations rigolotes comme tout.
Quand la dame se présentait par son nom, on ne savait plus qui elle était.
Quand quelqu’un nous demandait au téléphone à joindre Mme X, ou à avoir de ses nouvelles, on lui soutenait que « Ah mais non, on n’a aucune Mme X dans notre service, ou alors elle est sortie« , et les gens raccrochaient en se demandant où avait bien pu disparaître leur tante / amie / voisine.
Quand on finissait par réaliser qu’on parlait peut-être seulement deux langues différentes, et qu’on demandait le nom de jeune fille de la personne désirée, et que les gens ne savaient pas, parce que c’était seulement leur voisine, il fallait qu’ils rappellent le standard, pour avoir les admissions, pour demander le nomdejeunefille de madame nomd’épouse et qu’ils rappellent le service après.
C’était rigolo comme tout.
Et ensuite, surtout, c’est le genre de détail idiot que peut-être je dramatise, mais je reste intimement convaincue que c’est foutre un sacré coup de pied au cul de toutes celles qui sont déjà sur la douce pente de la folie.
Les femmes de quatre-vingt-dix ans, en 2007, sont toujours fragiles, souvent un peu démentes, souvent mariées depuis soixante ans, souvent veuves.
Moi, je ne sais pas ce qui se passe dans la tête d’une femme démente, ou d’une pas-encore-tout-à-fait, qui est en train d’hésiter entre récupérer toute sa tête ou se laisser glisser dans l’Alzheimer.
Je sais encore moins ce qui se passe dans sa tête quand elle s’entend appeler par un nom qu’elle n’a pas entendu depuis soixante ans.
Peut-être qu’elle croit qu’elle est sa mère.
Peut-être qu’elle croit qu’elle est sa soeur.
Peut-être qu’elle croit qu’elle a dix ans quand elle a été hospitalisée pour sa tuberculose.
Peut-être qu’elle ne sait plus où elle est, qui elle est et quand on est.
En tout cas, je ne vois pas du tout en quoi ça peut l’aider à se raccrocher à la réalité du ici et du maintenant qui est déjà en train de glisser doucement entre ses doigts.
Il y a quelques années, quand ma grand-mère a failli mourir d’un anévrisme de l’aorte à deux doigts de lâcher, elle s’est réveillée de son opération toute confuse, et on ne savait pas si elle allait récupérer sa tête ou non. Elle entendait des enfants rire dans le couloir, elle se croyait en colonie de vacances (elle a la confusion sympa, ma grand-mère), elle répondait à côté de la plaque, elle nous reconnaissait à peine.
Elle a récupéré comme un miracle.
Elle était dans un hôpital où j’étais déjà passée, et où je savais que le système informatique trouvait que les nomsdejeunesfilles étaient vachement plus pertinents à utiliser que les nomsd’épouse.
Je lui ai demandé comment elle avait vécu l’expérience.
Elle a cru que l’infirmière se présentait, elle.
Elle s’est demandé qui ça pouvait bien être, cette femme qui avait le même nom qu’elle. Elle a cherché si c’était une petite-cousine ou une nièce. Elle n’a jamais compris qu’on lui parlait à elle. Alors forcément, elle n’a jamais répondu quand on lui parlait.
Amitiés confraternelles
13 février, 2008
Interne aux urgences.
Stage qui se passe très bien. Le stage est bon, l’ambiance est bonne, l’équipe para-médicale est bonne, les relations avec mes collègues et mes chefs sont bonnes.
Sauf avec une. De chef.
Pour des raisons qui m’échappent, elle me déteste.
C’est sans doute au moins en partie parce que, pour des raisons qui ne m’échappent pas du tout, je le lui rends bien.
Plein de gens l’aiment bien (elle est jeune, dynamique et enjouée) ; plein de gens m’aiment bien (je suis super) ; des gens qui l’aiment bien m’aiment bien ; mais c’est comme ça, entre nous deux, ça ne passe pas. Et forcément, plus elle ne m’aime pas, plus je ne l’aime pas, et plus elle ne m’aime pas, et…
En fin d’après-midi, je reçois un patient. La cinquantaine. A fini par se laisser traîner par sa femme aux urgences, après de nombreux refus, après de nombreuses disputes.
Il est alcoolique.
Il se tenait bien jusqu’à peu. Il avait un travail, il ne buvait que le soir, chez lui, il avait une vie sociale, bref, il se tenait. Alcoolique mondain.
Depuis une bonne semaine, rien ne va plus. Comme ça, soudainement, après une bonne dizaine d’années de mondanités contrôlées. Il n’est pas allé au travail trois jours de suite, il commence dès la fin de la matinée, il a mis son fils en danger au moins une fois.
Sa femme, que je rencontre à part, m’émeut, et m’inquiète. C’est elle qui me raconte tout ça, la dégringolade en cours. Elle a essayé depuis longtemps de le faire consulter, sans succès. Elle s’inquiète pour lui, elle s’inquiète pour elle, elle s’inquiète pour son fils. Et visiblement, elle l’aime. Elle a tenu plein d’années, mais là, vraiment, il faut faire quelque chose.
Lui, quand je le vois vers 17h30, il est assez serein. Forcément, il est assez bourré. Très conscient, pas du tout somnolent, il répond à mes questions de façon cohérente. Mais son élocution est un poil hésitante, et il pouffe et il sourit un peu sans raison.
Il est gai, quoi.
Il m’avoue sa consommation de la journée, un peu en-deçà de ce qui aurait pu le mettre dans cet état ; petit mensonge.
Il est d’accord pour une prise en charge, il est d’accord pour rester à l’hôpital, il s’inquiète pour sa femme qui s’inquiète.
Mais non, on n’hospitalise pas des gens en urgence pour sevrage alcoolique. Jamais.
Parce que quand ils sont bourrés, le psy refuse de les voir, parce qu’ils ne sont pas « évaluables ».
Parce que si on lance les choses en urgence, c’est l’échec annoncé.
Parce que, si les gens ne sont pas capables de maintenir leur demande de sevrage une semaine durant, si il ne s’agit que d’une impulsivité, si ils ne sont pas capables de revenir plus tard à un rendez-vous qu’on leur aura fixé, on sait que c’est perdu d’avance, et que le sevrage sera un échec.
Mais moi, je m’inquiète aussi. Je prends la soudaineté de l’aggravation comme une sonnette d’alarme, même comme un possible équivalent suicidaire. Qu’est ce qui lui arrive, à ce type, pour que brusquement il ne maîtrise plus ? Qu’est ce qui l’a fait tomber de la corde déjà raide ?
Et c’est tellement difficile de refuser son aide dans ce genre de cas… Enfin, enfin !!! elle le traîne devant un médecin, et on doit lui dire « Ah non pardon madame, mais revenez dans deux semaines » ??
Bref. En dépit des habitudes, je demande un avis psychiatrique.
Parce que je pense qu’il mérite d’être hospitalisé. Parce qu’il est quand même assez cohérent pour être un peu évaluable. Parce que ce soir, sa femme est là, et qu’elle, elle est évaluable, et que demain elle ne sera plus là.
Ma chef (à qui, soit dit en passant, je n’avais pas demandé l’avis, puisque je gérais l’histoire avec un autre) se gausse. Ahahah, mais les psys voudront jamais le voir, il est bourré. On le garde jusque demain matin et on verra à ce moment là.
Je m’entête, j’explique, j’argumente.
Ecoute, il est pas SI bourré que ça. Et la situation m’inquiête. Et j’ai peur que cette nuit, quand il aura dégrisé, il veuille repartir, et qu’on ne puisse rien faire pour le retenir, et qu’on perde la chance qu’on a ce soir de lui venir en aide. (On peut retenir à l’hôpital contre son gré un gars bourré, pas un adulte en pleine possession de ses moyens). Et je t’assure, vraiment, bon, il est gai, quoi, mais ça va encore.
La discussion continue un certain temps, avec plus ou moins les mêmes arguments. Tu as tort, non je pense que j’ai raison, mais non tu as tort, non je veux l’avis psy, mais il est bourré, mais vraiment je t’assure pas tant que ça.
Je m’en vais là-dessus, laissant le dossier à mon autre chef.
Le lendemain matin, un message sur mon répondeur, à 23h30.
– Ton posé, chaleureux, souriant : Allo, Rrr, c’est Enjoua.
– J’entends son sourire monter jusqu’à ses oreilles. : Ecoute, c’était juuuuste pour te dire que tu as eu raison de te battre pour ton patient, M. Truc, …
Et là, au petit matin, mon idiote de tête me sermonne. Putain, je l’ai mal jugée, langue de pute que je suis. Elle t’appelle pour te dire que tu as eu raison ! C’est vraiment sympa, c’est vraiment bon joueur… Comme quoi, on peut se tromper sur les gens.
– Montée en puissance du plaisir : Il n’a QUE 4 virgule 7 grammes d’alcool dans le sang.
– Pouffage. Allez, je te souhaite une bonne soirée !!!
– Orgasme. Je l’entends clairement jouir au bout du téléphone.
…..
J’ai murmuré « Pétasse » dans le petit matin, mon téléphone à la main.
Putain, mais tu es MA CHEF quoi !
Si tu as raison et que j’ai tort, mais la belle affaire !! Tu es ma chef ! On n’est pas en compétition, tu es ma chef ! Tu n’as pas à te payer d’orgasme sur mes erreurs !!
Et puis EN PLUS, je n’ai pas fait d’erreur. Sous-estimer l’alcoolémie d’un alcoolique chronique, la belle affaire ! Je l’ai trouvé inquiétant, et oui, je me suis inquiétée pour lui, et ça n’avait rien à voir avec son putain de degré d’alcoolémie, que oui, j’ai mal évalué.
Mais qu’est ce qui a pu ne pas grandir dans ta tête à ce point pour que tu ressentes le besoin de m’appeler chez moi à 23h30 pour me dire que j’avais tort ????
Pour la fin de l’histoire, mon patient n’a pas été vu le soir-même par le psy qui l’a effectivement estimé non-évaluable.
Il a été vu le matin suivant.
Il a été hospitalisé.
Enjoua, je t’emmerde.
Certi-tue-de
9 février, 2008
Un jour, je tuerai quelqu’un.
Forcément. Fatalement, même, sans mauvais jeu de mot. (Notez qu’on dit toujours « sans mauvais jeu de mot » précisément à chaque fois qu’on en fait un)
Pas parce que bon, j’aurai fait tout mon possible et qu’il sera mort malgré tout.
Pas parce que je ne l’aurai pas sauvé.
Parce que je l’aurai tué.
Un jour, forcément, statistiquement, ma négligence ou mon ignorance vont tuer quelqu’un qui aurait pu être sauvé par un autre.
C’est pas tous les jours super sympa, comme certitude.
Les risques du métier, diront certains.
Oui, mais tu en sauveras davantage, diront d’autres.
Mais ce n’est pas aussi simple. Parce que oui mais non.
Parce que bien sûr, dans la masse, probablement que je sauverai des vies. Mais, il me semble que dans ma spécialité, c’est plus difficile de montrer quelqu’un du doigt en se disant « Lui, je lui ai sauvé la vie. Moi toute seule« .
Un urgentiste qui voit quelqu’un ressusciter sous ses mains peut sans doute se dire « Je l’ai sauvé ». Ou un chirurgien qui vient de faire une opération difficile. Ou un obstétricien qui récupère de justesse un gamin.
Moi, je vais surveiller, je vais envoyer à l’hôpital quand je suis inquiête, je vais expliquer, je vais dépister. Dans la masse, dans la foule, ce que j’aurai fait permettra à quelqu’un de vivre.
Mais difficile de dire qui, au juste.
Si je n’avais pas dépisté, peut-être que ça l’aurait été un poil plus tard par quelqu’un d’autre.
Si j’envoie aux urgences, c’est juste que je confie à d’autres le soin de faire quelque chose.
Si je traite correctement, si je fais bien mon travail trente ans durant, impossible de dire quand et comment ça se serait passé si je n’avais pas été là.
Je peux permettre à des gens de se sentir mieux, et le savoir.
Je peux permettre à des gens de mourir bien, et le savoir.
Je peux guérir, et le savoir.
C’est sans doute aussi important que de pouvoir se dire « Celui-là, à ce moment là précis, je lui ai sauvé la vie ».
Mais du coup, ça pèse moins facilement dans la balance.
On sait qu’on a contribué sans doute à sauver quelques vies anonymes.
Et on sait avec certitude celles très nominatives qu’on a perdues.
Je suis pétrifiée à l’idée qu’un jour ça m’arrive, et, statistiquement, ça ne peut que m’arriver.
La mauvaise réputation
9 février, 2008
Ma tête est une vraie saloperie.
Elle retient ce qu’elle veut, avec une nette prédilection pour les choses inutiles.
Je dois connaître, au bas mot, plusieurs milliers de chansons par coeur. Un vrai jukebox du patrimoine français. Mettez une pièce, demandez une chanson, je la connais. Du début à la fin, avec les couplets dans l’ordre et tout.
Mais prenez-moi par surprise et dites-moi « Cite-moi un macrolide », c’est le trou noir.
Voilà, l’aveu est fait, et il est douloureux.
Il laissera peut-être les non-médecins de marbre, et les médecins incrédules devant l’ampleur du désastre. Attention où vous mettez les pieds, y a ma crédibilité qui doit traîner quelque part.
Mais voilà, non, vraiment, les classes** de médicaments et moi, on est en instance de divorce permanente.
Brassens, où tu veux quand tu veux, les mains dans le dos et les yeux fermés.
Les antibios, pas ce soir, chéri, j’ai la migraine.
Et comme je sais que je ne sais pas, je panique et c’est pire. Ma cervelle se transforme instantanément en marmelade. Gelée de neurones.
Je sais bien que l’information a été là, un jour, quelque part dans le magma gluant qui remplit ma boîte crânienne, mais impossible de retrouver le chemin qui y mène.
A force, bien sûr, je connais les antibiotiques à prescrire en première intention dans la plupart des pathologies courantes. Mais non, définitivement non, ils n’arrivent pas à se ranger dans ma tête dans de jolies petites cases de jolies petites classes.
En me concentrant très fort, je peux réussir à me dire dans les bons jours que si ça finit par « cilline », y a des chances que ce soit une pénicilline.
Mais après 6 mois dans le même service, à prescrire les 6 mêmes antibios pour les mêmes pathologies inlassables qui reviennent, je suis encore capable de ne plus savoir si là, c’est la rocéphine ou l’érythromycine. Ca finit tous les deux en « ine », bordel de merde.
Et d’ailleurs, je ne connais pas le spectre des pénicillines.
C’est par coeur (Maladie x = Médicament y) (pourquoi, au passage, les inventeurs de toutes ces merveilleuses molécules ne les ont pas appelées « Otitine » ou « Anginine » ou « Pyelonéphrine », je pose la question) ou c’est marmelade.
Quand on me conseille gentiment : « T’as qu’à mettre un macrolide avec une bonne pénétration ORL« , inutile de vous dire à quel point c’est marmelade.
Hin hin hin. Oui, ok, merci, bonne idée. Un macrolide à bonne pénétration ORL, c’est parti mon kiki.
Et pourtant, Dieu et Pasteur savent que j’ai essayé.
J’ai lu, j’ai relu, appris, désappris, ré-appris. J’ai même essayé de me faire des moyens mnémotechniques en chanson. Avec que des mots qui finissent en « ine », forcément, ça n’a pas été fabuleusement efficace.
Quand j’entends des confrères discuter autour de moi d’un traitement, réfléchir et débattre pour trouver d’eux-mêmes le médicament le plus approprié, sans avoir à regarder dans un bouquin ou dans les recommandations officielles, discuter du spectre, de la pénétration, et qu’en troisième intention sur tel microbe on aurait intêret à essayer tel médicament parce qu’il y a sans doute une résistance à tel sous-bidule et qu’avec les effets indésirables de telle classe on ne peut pas utiliser telle molécule chez un insuffisant rénal, je me transforme en Joey dans Friends.
Je hoche la tête en prenant l’air concernée, alors que les syllabes dansent dans ma tête comme autant de petites particules de son dénuées du moindre sens.
Je rêve d’un monde aussi simple que les cas cliniques de la fac, qu’on pouvait conclure d’un triomphal et bien inutile « Antalgiques, soins locaux et Antibiothérapie adaptée« .
J’ai cru longtemps que ça finirait par venir avec le temps.
Je commence à avoir des doutes. Je finirai peut-être mes jours Vidal-olique. Ou je me ferai tatouer des antisèches sur les avant-bras, je ne sais pas encore.
Et encore, là, je ne vous ai parlé que des antibios. La semaine prochaine, si vous êtes sages, on attaque mes fabuleux amis les anti-hypertenseurs.
** Pour ne prendre que l’exemple des antibios :
Il y a des tas et des tas de microbes, et des tas et des tas de médicaments. Les microbes sont rangés en familles et en sous-familles, les médicaments aussi. La famille d’un médicament, c’est sa « classe« .
Certaines classes marchent contre certaines familles de microbes : c’est le « spectre » de l’antibiotique.
Et après, on rajoute des tas de propriétés rigolotes qu’il est de bon ton de connaître : son mode d’action, sa prédilection pour tel ou tel organe, ses effets indésirables, sa durée de vie dans le sang, s’il se donne par la bouche ou par les veines ou en intra-musculaire ou les deux ou les trois, ses copains-antiobiotiques qu’on risque d’être allergique aussi à si on est allergique au premier, ses posologies et j’en passe.
Et encore après, on donne deux ou trois noms à chaque médicament. Son petit nom de marque et son nom officiel de molécule. Parce que sinon ça risquait d’être pas assez rigolo.