Ah, vraiment ??

8 novembre, 2007

Stage de gynéco en maternité.
Souriante, je meuble la conversation pendant que je pose le monito :

– Alors, un petit garçon ou une petite fille ?
– Une petite fille.
– Et vous allez l’appeler comment ?
– Clitorine !
– ……..
\o/
– Mmmm, bon, je reviens dans une demie heure pour enlever le monito, hein…

Bien vu…

8 novembre, 2007

Il vient aux urgences parce que, rond comme une queue de pelle, il est tombé contre le coin de sa table basse et qu’il s’est énucléé l’oeil gauche dans l’histoire.
(NDRL : pour votre culture personnelle, et la mienne, j’apprends en vérifiant l’orthographe d’énucléer que ça signifie seulement « extirper en incisant ; enlever un organe, une tumeur ». Enucléer l’oeil n’est donc pas un pléonasme !)

Bref. Il ronfle comme un sonneur sur son brancard, l’oeil délicatement posé sur la joue. Il est trop saoul pour avoir mal.

Bien sûr, il a fallu que je voie ça.
Bien sûr, il a fallu que j’entre dans la chambre en disant « Bonjour monsieur, vous permettez que je jette un oeil ? »

Hé merde…. Ctrl-Z, please ??

Certifi(c)ons

8 novembre, 2007

« Bonjour, j’ai 55 ans, et j’aurais besoin d’un certificat médical pour faire un demi-marathon s’il vous plaît…« 
Oui, voyons-ça….

« Bonjour, j’ai 28 ans et j’aurais besoin d’un certificat médical pour faire du basket, s’il vous plaît…« 
Oui, pourquoi pas…

« Bonjour, j’ai 45 ans, et j’aurais besoin d’un certificat médical pour faire du yoga, s’il vous plaît…« 
Heuuu, oui… Mmmm, vous n’êtes pas allergique aux justaucorps en lycra… ?

« Bonjour, j’ai 18 ans et j’aurais besoin d’un certificat médical pour prendre des cours de valse, s’il vous plaît…« 
Voui voui voui… Dites, vous n’auriez pas une mère allergique aux justaucorps en lycra ?

« Bonjour, ma fille de six ans va participer au « Miniclub gym » de l’école, elle a besoin d’un certificat médical, s’il vous plaît…« 
Bien sûr, je vous le fais aussi pour non-contre-indication à la pratique de la corde à sauter dans la cour de récré et à la montée des marches de l’escalier pour aller à la cantine ?

« Bonjour, ma fille a un rhume, et à la crêche, ils ne veulent pas me la reprendre si elle n’a pas un certificat médical et une ordonnance de Doliprane« 
Bin voyons….

« Bonjour, à l’école ils me demandent un certificat pour pouvoir lui mettre une crême si elle se cogne« 
Pardon ?? J’écris « Je soussignée, certifie que l’état de santé de l’enfant Jaiencoretombé ne contre-indique pas l’application cutanée d’une chose quelconque » ?? oO

Attente

8 novembre, 2007

Journée aux urgences.
J’ai toujours un peu de mal à partir, à la fin de ma journée. Il y a des choses en cours, et c’est toujours difficile de laisser un patient à un collègue en plein milieu de sa prise en charge. Et c’est toujours chiant de prendre le métro. Et on est bien, aux urgences.

Ce jour là, c’est encore plus difficile de partir.

J’ai une patiente qui est venue pour douleurs abdos et nausées. Jeune.
Rien de grave à première vue.
Pas de contraception, ça fait 2 ans qu’elle essaie d’avoir un bébé et qu’elle désespère. Elle m’émeut, dans sa façon de me dire ça et dans ses yeux qui brillent.

Le bHCG est en cours, ça met longtemps, mais je ne sais pas pourquoi, je le sens bien. Je veux attendre.
J’appelle le labo. Une fois, deux fois. C’est encore en cours. Ca fait une heure et demie que je devrais être partie, tout le monde me dit que je suis folle, et que je n’ai qu’à rentrer chez moi.
Mais c’est MA patiente, et si jamais, si jamais elle était enceinte, je veux que ce soit moi qui lui dise.

J’appelle le labo une quatrième fois.
Le test est positif.

Quand je vais lui dire, ses yeux brillent, encore.
Je n’ai vraiment, vraiment pas regretté ces deux heures d’attente.

Il est 14h30, il a fait une chute de 3 m la veille au soir, il a atterri bien droit sur ses pieds, et depuis ça fait mal au talon quand il marche.

« Mais s’il n’y a rien de cassé, pourquoi ça fait mal, alors ? »

Euuuh….
Parce que tu t’es fait mal ???

-_-

Pour renvoyer les gens chez eux depuis l’hôpital, on a plein de chouettes moyens :

– l’ambulance, pour ceux qui doivent être couchés, ou dont l’état nécessite un rien de surveillance et de matériel
– le taxi pour les gens qui vont bien
– le VSL, « véhicule sanitaire léger », une espèce d’intermédiaire entre les deux

Le tout étant plus ou moins remboursé et plus ou moins tout de suite, selon des conditions obscures que je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre, mais qui font quand même que bon, dans le principe, on peut renvoyer les gens chez eux de manière à peu près adaptée à leur état.

Ca a l’air merveilleux comme ça à première vue, mais c’est plein de bonnes choses qu’on peut pas comprendre, nous, humains.

En 7 ans d’hôpital, je n’ai jamais vu un VSL. Je ne sais pas à quoi ça ressemble, les infirmières m’ont toujours ri au nez quand j’ai essayé d’en faire demander un. « Ahahah, mais y en a pas, des VSL« .
Ah bon, comme ça, pouf ? Y en a pas ? Ah, bah non, y en a pas.
Partout où je vais, y en a pas.
Le VSL, je crois que c’est une petite ligne sur le formulaire de transport parce que ça faisait plus joli, ou une vaste blague des gens qui essaient de nous faire croire qu’on limite les dépenses de santé, ou un complot mondial quelconque. Rien avec des roues, en tout cas.

Les taxis, c’est une autre histoire. Non, en fait, c’est plein d’autres histoires.
– Ah, mais les taxis viennent pas après 2h du matin.
– Ah, mais les taxis viennent pas ici, parce que c’est trop excentré.
– Ah, mais les taxis viennent pas ici, parce que c’est trop dangereux.
– Ah, mais les taxis viennent pas, parce qu’ils sont jamais payés par les patients et ils veulent plus venir.
– Ah, mais les taxis viennent pas parce qu’ils viennent pas.

Donc, il reste l’ambulance et sa demi-fortune au kilomètre.
L’ambulance pour tous.

Et j’aimerais bien savoir ce que je fais de :
– La petite dame qui va pas si mal, mais qui se déplace à peine, qui ne sort plus de chez elle, et qui ne pourra juste pas monter toute seule ses trois étages
– Le type qui va très bien, mais qui a deux bras et une jambe dans le platre, une valise et pas d’ascenseur
– Les huit cent milles types qui sont venus aux urgences en pleine nuit avec les pompiers et qui vont parfaitement bien, sauf qu’il est quatre heures du mat et qu’ils habitent loin

Parfois, on essaie de lutter un peu, et on refuse de faire venir l’ambulance.
Les gens s’offusquent, ils demandent comment ils vont faire, ils disent qu’ils « y ont droit ». Quand on tient la forme et que les gens sont des chieurs, on leur explique qu’ils n’avaient qu’à pas appeler les pompiers pour une gastro et que c’est leur problème.
Quand on est fatigué, quand les gens sont gentils, quand ils ne connaissent VRAIMENT personne pour les ramener, quand ça fait trois fois qu’on s’engueule avec des patients pour la même raison, quand il pleut, quand ils sont vieux, quand ils sont saouls, quand on n’a pas dormi depuis trop longtemps, quand c’est Noël, quand c’est comme ça, on appelle l’ambulance.

Une fois, j’ai vu à 4h du mat, aux urgences gynéco, un tout gentil couple de 55-60 ans. La dame avait connu la première mycose de sa vie, ça démangeait terriblement, ils avaient une culture médicale frôlant le zéro absolu, ils ont paniqué et appelé les pompiers.
C’était un hôpital de périphérie, ils habitaient dans le village d’à côté celui d’à côté, et ça faisait 8 bons kilomètres.
Ce jour là, allez savoir pourquoi, je suis restée campée à cheval sur mes beaux principes. Ils ont dit qu’ils comprenaient, ils ont hôché la tête et ils sont repartis main dans la main en disant qu’ils allaient marcher.
Je m’en veux encore de ne pas avoir appelé cette foutue ambulance.

OMG

1 novembre, 2007

Elle a 82 ans. Il est son médecin généraliste depuis pas loin de 30 ans.
Pour une douleur de dos qui ne passe pas, il finit par l’adresser au rhumato. Qui demande une IRM. Qui montre une métastase, probablement d’un sein ou d’un poumon. (Pour elle qui n’a jamais fumé, optons plutôt pour le sein…)

Très logiquement, le rhumato, qui n’a vu la dame qu’une fois, lui renvoie le paquet cadeau en lui demandant de gérer l’hospitalisation… Il lui trouve donc une place dans un service de cancéro, le jour-même, et part en visite chez elle pour organiser tout ça.

« Ca m’embête quand même de l’envoyer en cancéro, elle n’est pas bête, elle va comprendre…« 
Ah… Parce que tu ne comptes pas lui dire ? Je veux dire, on va la voir chez elle, là, pour l’hospitaliser, tu es SON médecin, son généraliste, son médecin traitant, son médecin de famille, et tu comptes lui dire quoi, au juste ???

« Je me demande si on n’aurait pas dû l’envoyer d’abord aux urgences….« 
Bin oui, bien sûr… « Salut, j’ai pas envie de m’occuper de l’hospitalisation, tu peux t’en charger s’il te plaît ? Allez, bisous ! »
Comme ça, elle va atterrir aux urgences (pour une non-urgence) à 15h, elle va attendre dans la salle d’attente jusque 18h, elle va être vue par un médecin qui ne la connaît pas, les services seront fermés, on ne pourra pas organiser l’hospitalisation le jour-même, elle va passer la nuit sur un brancard, pour qu’au final elle finisse par être hospitalisée en cancéro tout pareil, sauf que c’est un médecin qui ne l’a jamais vue de sa vie et qu’elle n’a jamais vu de sa vie, qui va soit l’hospitaliser sans rien lui dire comme tu comptes le faire, soit lui dire la vérité.
Tellement mieux….


En arrivant chez elle, il lui parle de « bilans à faire », et d’ « ostéite », il marmonne, il grommelle, il appelle l’ambulance, il demande 32 euros s’il vous plaît madame.
Il me demande de faire le courrier, mais il ne connaît pas ses antécédents.

J’écris : « Je vous envoie comme convenu…. Mme Cancer…. Dont je n’ai pas le dossier sous les yeux…. PS : elle n’est pas au courant du diagnostic. ((PPS : bisous !)) » Et je signe de son nom.

En lisant son dossier un peu plus tard, je me rends compte qu’elle est toujours, à 82 ans, sous traitement hormonal substitutif, et qu’elle a eu il y a 3 ans une mammographie montrant « une lésion suspecte à contrôler impérativement dans 6 mois » qui n’a jamais été contrôlée, et qui n’a pas motivé non plus l’arrêt du THS.
Et qu’il y a deux mois, il avait prévu « un bilan de dénutrition si l’amaigrissement et l’anorexie persistent« .

Je sais bien, c’est toujours facile de relire un dossier a posteriori.
Mais de toute façon, ce n’est pas vraiment ce qui me choque le plus dans cette histoire.

Juste avant d’être médecin, je voulais être dresseuse d’ours.
Autant dire que ça remonte.

Je me souviens étonnamment précisément du jour où j’ai décidé de ma carrière.
J’avais quelque chose entre 6 et 8 ans, et j’ai eu la révélation un matin dans la salle de bains.

Réveil difficile, complètement éblouie par la lumière, je me rends compte qu’en fermant un oeil, un seul oeil, je ne suis plus éblouie.
Et, c’est le cas de le dire, c’est l’illumination.
Ce n’est donc pas mon oeil, mon oeil lui-même en tant qu’organe qui est ébloui, c’est, quelque part derrière, la somme de mes deux yeux. Je ne suis pas éblouie dans mon oeil, je suis éblouie dans la somme de mes yeux. Mes yeux s’additionnent, se croisent quelque part, derrière eux, dans ma tête, et c’est cet endroit là qui est ébloui.
MES YEUX SE CROISENT QUELQUE PART DANS MA TETE !!!

A 7 ans, se rendre compte un matin qu’on a les yeux qui se croisent dans la tête, ça fait un choc. Il fallait tirer ça au clair, il fallait être neurochirurgien.
Au diable ma pourtant prometteuse carrière de dresseuse d’ours.

Ensuite, j’ai appris qu’on pouvait apprendre comment ça marche dans la tête sans faire de chirurgie, et j’ai décidé d’être neurologue.
Ensuite, j’ai appris qu’on ne savait pas vraiment au juste exactement comment ça marche dans la tête, et j’ai décidé d’être médecin.
Ensuite, bien plus tard, après quelques déconvenues hospitalières, j’ai eu la chance de croiser deux médecins généralistes, qui faisaient de la vraie médecine et qui brillaient d’une vraie flamme, et, nouvelle illumination, j’ai décidé d’être généraliste.

Pour le moment, je ne regrette rien.

Flottement

10 octobre, 2007

Elle a 96 ans. Elle pèse 36 kg.
Envoyée aux urgences par sa maison de retraite, pour des douleurs abdominales sur « constipation opiniâtre ».

On dirait une grand-mère de livre, une grand-mère de film. Les cheveux très blancs, encore longs. Toute petite, toute frêle ; un filigrane. Elle parle avec une voix douce, voilée, lointaine. Souriante, malgré tout.
On dirait qu’elle abrite un espace-temps parallèle où tout s’écoule plus doucement.
Tout en elle flotte. Sa voix flotte, son existence même semble flotter quelque part entre ici et ailleurs, son corps flotte au milieu d’une peau trop grande pour elle.

Rien de parcheminé, dans sa peau ; rien de sec, rien de cassant.
Ratatinée, sa peau. Fripée, comme un trop grand morceau de cuir souple replié doucement autour d’un corps devenu trop petit.
On suit ses os des yeux, et, la main sur son ventre, on plonge au coeur même des viscères. Il n’y a rien entre ses intestins et ma main, rien que sa peau trop fine.

Je passe 30 minutes, au moins, à extraire ses selles à la main. C’est incroyable qu’un aussi petit bout de femme puisse contenir autant de merde.
Je lui fais super mal.
Elle pleure comme elle parle ; voilé, lointain.
Elle me dit merci, parce qu’elle a moins mal quand j’ai fini.
Ce n’est pas qu’elle soit SI constipée, je ne vois tout simplement pas avec quelle force et quels muscles elle pourrait faire le simple effort de pousser pour sortir tout ça elle-même.

Elle n’est malade de rien, au siècle où on doit forcément être malade de quelque chose.
Même les chiffres, les beaux et implacables chiffres qui prouvent noir sur blanc une maladie bien nette et sans bavure, même les chiffres ne parviennent pas à trouver de quoi elle meurt.
Ses reins fonctionnent, son coeur fonctionne, sa tête fonctionne.
Et pourtant elle meurt.

Au ralenti. En flottant. Comme une chandelle qui s’éteint tout doucement.
Elle meurt de rien.
Elle meurt de tout.
Elle meurt de la vie.

Ca arrive encore.

Tu n'apprendras jamais

10 octobre, 2007

J’ai bientôt fini mes études de médecine, et je n’ai jamais fait de ponction pleurale.

Une seule ponction lombaire, jamais de réduction d’épaule luxée, jamais de ponction d’ascite, jamais de ponction de genou.

C’est que je n’ai jamais eu de patient à moi, vraiment à moi, qui en ait eu besoin.
Un patient que j’aurais suivi, et à qui j’aurais rendu suffisamment service pour me permettre de lui imposer en contrepartie mon inexpérience.

A chaque fois qu’on m’a proposé ces gestes, chez des patients que j’avais vus cinq minutes, ou pas du tout, je me suis défilée.
Je ne voyais pas de justification à leur faire mal, à faire durer 15 laborieuses minutes là où les mains de mon chef auraient bouclé l’affaire en 5.
Je me disais toujours : « la prochaine fois ».

« Tu n’apprendras jamais », on me disait.

Force est de constater que je n’ai jamais appris.