Tu la sens, ma grosse b…
18 septembre, 2007
Externat, garde aux urgences.
Mon boulot consiste grosso modo à aller voir les gens en première ligne, leur demander ce qu’ils fichent là et depuis combien de temps ils ont ça ( –> « Oh, un moment« , donc…) puis à trotter derrière de vrais médecins en blouse blanche qui viennent poser des diagnostics et demander des examens.
Une femme d’une soixantaine d’années. Douleurs abdos.
Antécédent d’un cancer quelconque il y a quelques années, du genre méchant et jamais tout à fait guéri.
Elle s’est mise à avoir mal depuis plusieurs jours, puis de plus en plus. Elle a essayé d’éviter l’hôpital tant qu’elle a pu mais ça commence à faire vraiment trop mal. J’ai le souvenir qu’elle se tord sur son lit, et que sa peau tire vaguement sur le gris-jaune, mais c’est peut-être moi qui enjolive après toutes ces années.
Comme elle va vraiment moyen, un vrai médecin m’accompagne d’emblée pour aller la voir, histoire de ne pas perdre trop de temps.
Et pas n’importe quel médecin s’il vous plaît, le chirurgien. Histoire de perdre encore moins de temps. Prononcer chii-ruur-gieen. L’interne en chirurgie, en fait, mais c’est tout comme.
Bonjour Madame, je suis le chii-ruuur-gien.
Histoire de la maladie, où ça fait mal, depuis quand, depuis quand elle n’est plus allée aux toilettes, depuis quand elle a maigri, hochements de tête.
Il pose ses deux mains l’une sur l’autre sur son ventre, il fait onduler ses doigts, il y va méthodiquement, cadran par cadran, les yeux levés vers le plafond comme pour y chercher l’inspiration.
Soudain, son visage s’illumine. Il hésite, il vérifie, il finit par rester toujours au même endroit et on voit bien qu’il se passe quelque chose, là, sous ses mains, et ça a l’air de lui faire vachement plaisir. Il sourit, même, maintenant.
Triomphal, il me dit « Tenez, sentez, là, palpez… »
Je pose mes mains, moi aussi. Parce qu’il me l’a demandé, bêtement. Parce que je ne réfléchis pas. Parce que c’est tellement surréaliste que je flotte, far far away, quelque part entre l’hébétude et l’incrédulité. Parce que je ne veux pas croire qu’il va se passer ce que je crois qu’il va se passer, et qui, évidemment, se passe :
« Alors ? (sourire) Qu’est ce que vous sentez ? »
Effroyable, effroyable connard… Tu veux dire à part l’envie de disparaître ? Tu veux dire, autre chose que le désir irrépressible de te hurler ta méchanceté crasse au visage ? Tu me demandes, raclure de moisissure de chiottes à la turque, si je sens autre chose que mes poings qui fourmillent et que j’essaie d’empêcher d’atteindre ton joli sourire de dents blanches ?
Je la sens, ta tumeur, enfoiré d’enfant de putain, sous la peau du ventre auquel est rattaché, un peu plus haut, si si, regarde bien, un torse, et oh, un cou et une tête. D’une dame. Avec des oreilles.
J’ai dit « Rien ».
Parce que c’est à peu près la seule chose que j’ai pensé à dire sur le moment.
Et en sortant de la chambre, étouffée à moitié par mon respect idiot de la hiérarchie, à moitié par ma fierté et à moitié par ma lâcheté – ce qui fait beaucoup trop de moitiés – j’ai dit :
« Non mais j’avais senti, hein, mais bon voilà… »
15 novembre, 2007 à 19 h 12 min
Merci encore.
Vous m’avez fait hurlé de rire..
Je ne savais pas que nos futurs cheres consoeurs avaient autant de décalage.
Bravo !
Restez humaine dans ce monde de techniciens.
BSC
15 novembre, 2007 à 23 h 25 min
Je vous retourne le merci encore ;)
16 novembre, 2007 à 0 h 33 min
Ah comme j’aurai aimé faire mes études avec vous..!Au lieu d’avoir des rires intérieurs,on aurait pu rire franchement..!
C’est vrai que l’on essayait de se prendre au sérieux alors qu’en son for intérieur,on se disait »Qu’est-ce qu’on fout là au milieu de tous ces cons..?! »
Qui sait?Je le suis peut-être devenu?
Pour l’année prochaine,je cherche une associée pour me remettre dans le droit chemin…
16 novembre, 2007 à 14 h 53 min
On se surveillera mutuellement ;)
5 février, 2008 à 21 h 17 min
Bon, ben pour celui-là, c’est bien mérité : http://openblueeyes.canalblog.com/archives/2008/02/05/7842985.html
Je suis passée en chir dig et en réa dig, et j’ai vécu ça trop de fois. Et ouille, ça fait mal rien que d’y repenser.
24 mars, 2008 à 23 h 32 min
le chir ds toute sa splendeur…
un semestre de psycho leur ferait tous du bien (nous aussi bien entendu)
9 avril, 2010 à 14 h 02 min
Salutos,
Eh eh! Cela me rappelle mes nombreuses gardes aux urg, et ces chers chir dig. (qui, soit dit en passant, nous devions, après certaines « patates chaudes », convier – fut-ce pour une simple constipation – à nous rejoindre. Les pauvres!). Bref, il y en avait un, ma foi assez sympathique, qui se pointait systématiquement au volant de sa grosse berline (noire et immaculée), et (nous étions fort souvent en train de prendre une bouffée de tabacum dans le SAS lorsqu’il arrivait) d’une manière aussi systématique, se garait non moins systématiquement à la même place de parking, le carreau nms largement ouvert et diffusant nms des sonorités de musique classique.
Le nigaud ! Comme si nous ne savions pas qu’il zappait de bande FM avant d’arriver.
Bref. Souvenir. Souvenir. Tous des corniauds (enfin presque) [des génies en périph à côtés des pitoyables mandarins de merde].
A+
Remplatus
24 janvier, 2011 à 22 h 03 min
J’avais un chef de neuro qui s’extasiait devant les scanners de SEP en disant « regardez, y en a partout, vraiment partout! » et qui se retournait vers le patient devenu verdâtre en disant « ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave » avant de sortir de la chambre avec sa suite sans donner plus d’explication.
Comme quoi, y a pas que les chirurgiens.
Et je suis sûr que depuis, ça n’a pas changé!
25 janvier, 2011 à 1 h 23 min
@docteursachs
« Et je suis sûr que depuis, ça n’a pas changé! »
Je confirme. Pas d’un iota! C’est toujours aussi gondolant… Particulièrement quand vous êtes l’oiseau rare de la spé de ces messieurs. Z’adorent montré à leur bleusaille THE cas à n’pas louper, THE cliché magnifique, paonnant au milieu de leur cour, imbus de leurs infinis compétence. Mais ce qui est quand même rassurant, c’est de constater qu’il y a souvent dans son sillage au moins un p’tit béjaune qui verdit comme une jaddo. A défaut de rassurer sur le message subliminal envoyé par le grand PPPPPPPonte, ça empêche de déclencher un oedème de Quincke à l’approche de toutes les blouses blanches qui doivent prendre la relève dans votre super PPS !
25 janvier, 2011 à 11 h 20 min
Souvenir d’un externe d’il y a 25 ans.
Le PH, enthousiaste : » mais madame, vous êtes un des 25 cas mondiaux de la littérature ! »
Elle était un peu conne. Elle partageait pas.
14 juin, 2011 à 11 h 18 min
Je suis tombé totalement par hasard sur cet article, c’était juste la bonne réaction à avoir devant la patiente. Cependant, un « connard » aurait été de mise pour le chirurgien.
29 octobre, 2013 à 4 h 02 min
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